Je suis un dragon ! : embrouille chez les grenouilles

La première double-page de cet album laisse apparaître, sur la droite, une bande de grenouilles perchées sur un rocher encerclé d’eau. Sur la gauche, une grosse tête verte émerge à la surface et, au-dessus d’elle, une libellule vit sa vie sur une branche. Celle-ci ignore, tout comme le lecteur ou la lectrice, de quelle scène elle va être témoin… 

En effet, dans ce décor aquatique a priori paisible (méfiez vous de l’eau qui dort !), un débat va faire des remous. Tout commence lorsque le petit groupe d’amphibiens observe l’immense tête verte et coasse : « Quelle grosse grenouille ! ». À ces mots, la tête sort un peu plus de l’eau et répond : « Je ne suis pas une grenouille ». Mais les grenouilles sont d’humeur taquine et répètent : « Quelle grosse grenouille ! ». « Je suis un dragon », réplique la créature. Les grenouilles persistent et font la sourde oreille (après tout, elles n’en possèdent pas) : l’animal est vert, gluant, vit dans l’eau et sur terre… En cela, il n’y a pas photo, c’est une grenouille. Et puis, comme on le leur a appris, les dragons, au même titre que les licornes, ça n’existe pas ! Le dragon, démuni face à cette impitoyable majorité, obtient tout de même le soutien de la libellule. L’insecte prononce les mots qui réconfortent face à cette vague de violence verbale : « Tu existes vraiment ». Mais soudain, c’en est trop : le dragon explose, le feu jaillit de son gosier, obligeant ses persécutrices à se réfugier dans l’eau : « JE SUIS UN DRAGON TRÈS EN COLÈRE ! ». Soit, plus personne n’a envie de contredire la bête. Les grenouilles penaudes se confondent en excuses. Le dragon aussi, pour avoir perdu son sang-froid. « Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit ! », ajoute la tortue qui était présente depuis le début : le rocher était en réalité sa carapace. L’embrouille apaisée, tout ce petit monde s’en va flotter ensemble en eaux plus calmes.

À la lecture de cet album, l’espièglerie des grenouilles nous fait sourire, le dragon pataud nous attendrit et nous sommes ravis quand surgit le soutien consolateur de la libellule et de la tortue. Mais malgré sa légèreté apparente, cette histoire aborde des thèmes complexes. Elle relève la nécessité de se forger sa propre opinion, sans se contenter de répéter ce qui se dit. Sinon, le risque est de rester dans l’ignorance et de blesser l'autre. Le livre nous parle aussi d’identité, de tolérance et de l’importance d’être reconnu par les autres. Qu’il est épuisant, pour ce pauvre dragon, de sans cesse devoir répéter qui il est ! À force, il ne lui reste que la révolte, et elle aussi peut faire des dégâts. Parce qu’après tout, qui peut prétendre être mieux placé que lui-même pour se définir ? 

Un album avec plusieurs niveaux de lecture qui plaira aux enfants, jeunes et moins jeunes !