La piste des larmes

Il faut se souvenir, faute de pouvoir revenir sur le passé. La piste des larmes, roman graphique historique, entraîne le lectorat sur le tristement célèbre chemin éponyme. En 1838, cette piste reliait la Géorgie, au sud-est des États-Unis, à l’Oklahoma, situé au sud-ouest. Elle fut la trajectoire de l’exil forcé de Cherokees, contraints par les colons de se diriger vers des terres moins rentables. L’autrice et l’illustrateur livrent un ouvrage cru, mettant sans détours en mots et en images l’innommable traitement fait à ces Natifs américains, les conduisant au déracinement, propre comme symbolique.

Des montagnes vibrionnant de couleurs et de vie du sud-est des États-Unis d’Amérique, en passant par le fleuve Mississipi, jusqu’au désert de l’Oklahoma, les décors défilent au rythme de l’exil. Le cœur accroché, nous suivons les destins de deux couples de clans différents, que les soldats persécutent, séparent, anéantissent.

Le code chromique, tantôt vif et somptueux, tantôt blafard et inquiétant, fait état du contraste insondable entre la grâce de vivre en parfaite communion avec la nature et le désespoir terrible de se voir voler par cupidité les terres de ses ancêtres, où tout était né. Les dialogues se font rares et secs, échos de cette page terrible de l’histoire.

La sensibilité des hommages rendus au peuple Cherokee donne à cette aventure, passage forcé, une ambiance d’autant plus morose. Armes, mort, maladies, vengeance ou alcoolisme viennent terrasser des millénaires de traditions humbles et fraternelles, de mythes fondamentaux et de communion absolue avec l’environnement.

Perles de force, il y a bien le courage d’Adsila, femme guerrière chez qui l’espérance ne meurt pas. Il y a aussi la résilience de Chaske, qui se lie d’une amitié sans bornes avec Diwali, promis à Adsila. Mais tout cela ne ressuscite pas Ahyoka, l’épouse de Chaske, ni ne sauve Diwali des affres de l’alcool. 

Qu’est-il advenu de la grande buse ayant façonné les montagnes ? Ses battements d’ailes fatigués n’ont pas pu rivaliser avec les canons des colons. La piste des larmes a le mérite de ressusciter une sagesse qui s’est éclipsée malgré elle, perdurant timidement sur le Territoire indien, imposé aux Cherokees. 

Un ouvrage rempli de vérités nues, qui mérite qu’on s’y attarde. La piste des larmes remplit la mission de rendre les lectrices et lecteurs attentifs à cette étape mortifère de l’histoire des États-Unis, mais aussi à la noblesse d’une culture d’une grande profondeur, violemment malmenée.