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Escale à Berne avec Tito Moccia

Né à Locarno en 1976, Tito Moccia est l’un des gagnants de la Mostra Illustratori de la Foire du livre jeunesse de Bologne 2024. Ses dessins, vivants et vibrants, un peu à l’image des fonds foisonnants de la Méditerranée, font rêver de grand large les petits lecteurs. Ricochet a fait escale à Berne, où vit l’auteur-illustrateur, et s’est laissé porter par la passion d’un scientifique, redevenu poète.

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Elinda Halili
24 juillet 2024

Ses livres en sont un indice fiable, Tito Moccia aime par-dessus tout la mer, et ce depuis toujours. Enfant, lorsqu’il part en vacances, ses parents s’étonnent qu’il connaisse tous les noms des animaux marins. Le passionné d’invertébrés, de crustacés et de coquillages raconte «Je lisais des guides sur la mer durant l’hiver». Les vacances d’été, c’était une sorte de travail pratique pour le jeune Tito. 

Tito Moccia dessine aussi, bien sûr. Petit, il produit une quantité folle de dessins, nous confie-t-il. À l’âge adulte, il se tourne assez naturellement vers des études de biologie à l’université de Neuchâtel, sans pour autant perdre son âme d’artiste: chez Tito Moccia, le besoin de dessiner et d’écrire la vie est plus impérieux que celui de l’étudier. 

C’est d’ailleurs ce besoin qui l’amène à remporter un prestigieux prix à Bologne. Si ce dernier le conduit à de belles rencontres et lui donne un brin d’assurance, l’auteur-illustrateur nous confie qu’il continue de douter de lui. Comme «le doute est la clé de toute connaissance», et cela va plutôt bien à notre interlocuteur en quête perpétuelle de nouveaux savoirs, c’est peut-être bien sa faculté à se poser des questions qui le distingue. 

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Papa de deux garçons, Tito Moccia s'inspire de sa passion pour la mer pour créer ses univers. (© Guillaume Perret)

Biologiste, journaliste, auteur-illustrateur, il pratique aussi la sculpture ou la gravure. Ce passionné donne l’impression de vouloir ne laisser de côté aucun aspect de l’existence.

Changements de caps
Fasciné par le vivant, Tito passe d’abord son bachelor, puis poursuit avec un master en biologie marine. Pour ce faire et tout en réalisant un de ses rêves, il part dans le sud de la France, étudier au bord de la Grande Bleue. Puis, il travaille un moment dans la recherche, mais s’en détourne assez vite. «J’ai toujours eu besoin de faire quelque chose de créatif, cela m’a manqué dans la science. Cela m’a même déboussolé», confie-t-il.

S’installant ensuite à Genève, il trouve des boulots dans les musées. L’art l’appelle comme un chant des profondeurs, inexorablement. Il loue un atelier et, à nouveau, concrétise un rêve. «À cette époque, j’ai fait plein de sculpture et de la gravure, entre autres», se souvient-il. Autodidacte, Tito Moccia est proche d’un groupe d’étudiants de la HEAD.

Fan des histoires de mer de Robert Louis Stevenson, de Joseph Conrad ou d’Herman Melville (Moby Dick), il aime aussi écrire et il n’a pas peur d’expérimenter, ni de changer de cap. Il commence alors à faire des piges pour un journal tessinois et il mord: «Tout à coup, j’ai décidé de vraiment devenir journaliste et j’ai passé mon diplôme au centre de formation de Lausanne», dit-il. L’auteur nous donne l’impression que des évidences improvisées s’imposent et l’énergie qu’il met dans la réalisation de ses aspirations nous exhorte à suivre les nôtres.

Le Tessinois travaille toujours pour Keystone-ATS, pour qui il rédige dans sa langue maternelle. «Je suis curieux de tout et je n’aime pas cloisonner les choses. Les domaines d’application du journalisme sont vastes, cela permet de découvrir, de s’intéresser à tout», nous dit-il. 

Aventure et subtilité
Tito Moccia explore et raconte, attentivement, le monde qui l’entoure. Peut-être un peu comme ses petits lecteurs? Le quadragénaire semble ne rien avoir perdu de son émerveillement. Très loin d’une volonté moralisatrice, il «écrit des livres qu’[il] aurait aimé lire enfant», nous dit-il. L’auteur-illustrateur souhaite éveiller chez ses petits lecteurs curiosité et plaisir de la lecture. Il nous décentre de nos visions de grands lorsque nous lui demandons quels messages il souhaite livrer à son public. En riant, il répond:«Je n’ai pas la prétention de communiquer quoi que ce soit, mais j’avais envie de créer des ouvrages aventureux, remplis de choses à découvrir». Simplement.

Attaché aux «petites choses», il nous fait l’aveu de souhaiter transmettre à son jeune lectorat ses impressions avec sensibilité et subtilité. On navigue sur Astor et Pavonia sans jamais se prendre de plein fouet ni de «grandes vérités», ni de morale immuable. Ses dessins grouillent de détails et ses histoires se trament tout en finesse. Tito Moccia affectionne d’ailleurs tout particulièrement les livres qu’on a envie de lire et relire, et c’est lorsqu’il reçoit ce type de retours qu’il est le plus content. «Au final, chacune et chacun s’approprie le livre et le lit à sa manière. La lecture appartient aux lecteurs!», complète-t-il.

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Autodidacte, Tito Moccia a livré un premier album en 2021. (© Antipodes)

Astor l’explorateur
L’auteur-illustrateur nous raconte qu’il se fait presque surprendre par ses personnages. Un jour qu’il dessinait, Astor le marin a surgi de l’océan, l’embarquant dans son périple. «Le dessin m’appelle et l’idée se construit autour, évolue… J’aime me laisser entraîner par le hasard d’un coup de crayon et les choses inattendues», explique-t-il. Cette ouverture à la spontanéité est d’ailleurs un aspect qui caractérise bien Tito, qui ne rechigne pas à saisir les surprises que la vie met sur son chemin.

Aussi, en se laissant porter, Astor a trouvé sa maison d’édition à Lausanne, chez Antipodes, et c’est ainsi qu’il est devenu un ouvrage francophone. «J’aurais aussi bien pu l’écrire en Italien», précise l’auteur, proche de la sensibilité de la langue de Molière qu’il pratique au quotidien, mais aussi de l’Italien qu’il prend beaucoup de plaisir à manier dans ses articles pour la presse tessinoise. 

Sorti en 2021, ce premier album en noir et blanc raconte l’histoire d’un moussaillon qui voyage en sous-marin autour de la terre. On y croise des cachalots, une sirène, mais aussi le mystérieux requin du Groenland, qui peut vivre jusqu’à 500 ans. Sans oublier un monstre marin tiré d’une carte de la Renaissance. Abyssales mises en perspective!

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«Astor» est un album foisonnant de détails et invitant à l'aventure. (© Antipodes)

Lorsque le marin regagne la terre ferme, son chat sur l’épaule, et qu’il s’ouvre une boîte de sardines, l’auteur écrit que «le plus petit des objets peut nous faire découvrir tout l’univers». Une invitation, en somme, à redonner sa valeur à ce qui peut passer pour insignifiant. L’auteur-illustrateur nous confie: «J’aime les choses minuscules et infimes qu’on ne remarque pas. Je suis sûr que dans les petites choses de la vie, on peut découvrir ce qui est fondamental». Dans un monde où il est demandé d’être toujours plus fort, plus performant, plus riche ou plus rapide, nous abondons dans le sens du biologiste qui redonne à la simplicité la place qu’elle mérite. Les dessins de Tito sont à admirer presque à la loupe et la densité des traits les rend quasi palpables.

Pavonia: plus en profondeur
Toujours dans la mer et encore plus vivant, Pavonia est le deuxième album de Tito Moccia, sorti en 2024. La créativité de l’artiste paraît avoir grandi en même temps que son lectorat. Une fois de plus des marins, mais également un petit je-ne-sais-quoi et une jeune fille nommée Calypso. Sans oublier une maman phoque, qui conte l’histoire à son bébé. À ce sujet, l’auteur-illustrateur dit: «C’est beau que cela soit la nature elle-même qui raconte l’histoire, sans doute d’une autre façon que nous le ferions».

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Sorti en 2024, «Pavonia» est tout en subtilités. (© Antipodes)

On navigue ici sur l’idée de «la fin d’un monde et le début d’un nouveau, plus féminin et plus jeune, avec Calypso qui prend la défense de la mer contre des marins belliqueux», décrypte celui qui garde tout de même un attachement pour ces marins paraissant débarqués d’un autre temps. La métamorphose est à son comble grâce au rôle de Saturnia pavonia, espèce de papillon de nuit qui s’épanouit à la fin de l’histoire.

Pour ce nouvel album en couleurs, Tito Moccia a d’abord fait ses dessins sur papier, «à l’ancienne», dit-il, et les a ensuite colorés digitalement avec la graphiste Maya Arber. Le rendu est asssez rétro, pastel et on retrouve le «côté rouillé» de la mer, cher à l’auteur-illustrateur. Un exercice délicat, puisque l’artiste tenait à la justesse des couleurs, à leur rapport à chaque composante et chaque plan de l’histoire.

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La narratrice de «Pavonia» est une maman phoque: une invitation à percevoir le monde à travers la nature. (© Antipodes)

Plus complexe que son premier livre, c’est un conte où le petit papillon, donnera pour le moins du fil à retordre au navire imposant de ces marins casse-cou. «L’embarcation, qui a l’air forte et dominante, se fait avoir par quelque chose de minuscule», dit l’auteur-illustrateur. L’effet papillon? Tito Moccia crée intuitivement et paraît amusé des multiples lectures que ses ouvrages rendent possibles, lui qui cherche en premier lieu à faire rêver les enfants en prenant du plaisir à donner vie à ses univers.

Tous les fleuves mènent à la mer
Mais s’il y a bien un passage à un nouveau monde, il n’y a pas pour autant les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. Fidèle à ses convictions, celui qui concilie science et poésie sait que l’histoire reste bien plus subtile. «J’aime les ports industriels et les gros bateaux, je suis fasciné par les pêcheurs alors que je suis tout à fait attentif à l’environnement», décrit-il. Cette ouverture se retrouve à pas mal de niveaux, chez ce papa de deux garçons, qui vit en ville tout en vouant un amour inconditionnel à la nature.

Ses livres sont par ailleurs remplis de références aux légendes et aux mythes et le biologiste ne cache pas qu’il est porté par une forme de paganisme. «Je crois à la nature, à l’esprit des animaux, des plantes. Par exemple, lorsque l’on est dans une forêt, on ressent quelque chose, c’est indéniable!», livre-t-il. Dans Pavonia, l’auteur-illustrateur imagine une coalition entre les animaux marins, qui se soulèvent.

Ses livres racontent des histoires où Tito Moccia questionne aussi les limites entre rêve et réalité. «Où s’arrête ce qu’on appelle la réalité? Est-ce qu’un jour nous découvririons que ce que l’on vit tous les jours est un rêve?», demande-t-il. Loin d’être l’apanage des romantiques, les scientifiques contemporains se posent bel et bien cette question existentielle mais non moins sérieuse.

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«Notturno con fumo 2», Prix Mostra de Bologne 2024. (© Tito Moccia)

Tito Moccia a trouvé l’équilibre en étant à la fois respectueux de la nature, dont nous sommes indissociables, et émerveillé du travail de l’homme. En somme, là où se rencontrent les effluves iodés des côtes et les bruits envoûtants des sirènes des cargos; où vivre avec intensité et respect n’a rien d’antinomique. «Nous devons trouver un meilleur équilibre et essayer de mieux nous écouter ainsi que ce qui nous entoure, au lieu de penser que l’on doit croître à l’infini. Nous sommes aussi des animaux, après tout; il serait temps de redéfinir ensemble une meilleure harmonie!», conclut-il.

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Tito Moccia

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