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Ralph Doumit: «J’aime considérer l’écriture de romans comme un terrain de liberté.»

Auteur et illustrateur, Ralph Doumit est né au Liban en 1985. Après des années passées en France, il retourne dans son pays d’origine. Il enseigne actuellement à l’Académie libanaise des Beaux-Arts. Son premier livre Que fait-on quand il pleut?, édité par Hélium, a reçu le prix Millespages 2022 et a fait partie de la sélection Pépites du Salon de Montreuil dans la catégorie Fictions junior. Pauline et Marco, son dernier roman jeunesse paru récemment aux éditions Hélium, raconte la rencontre entre deux enfants, Pauline qui rêve de faire la connaissance d’un extraterrestre, et Marco qui rêve d’en être un… Drôleries, quiproquos, mensonges, soucoupe volante et amitié sont au rendez-vous dans ce texte à la tendresse folle.

Nathalie Wyss
28 novembre 2024

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Pauline, Marco et leur «papa» Ralph (© Hélium, © Ralph Doumit)

Nathalie Wyss: Comment sont nés Pauline et Marco dans votre esprit?
Ralph Doumit: D’abord du souvenir d’amitiés de jeunesse. J’ai eu la chance de vivre des amitiés marquantes à l’orée de l’adolescence. Peu nombreuses mais fortes. De ces amitiés qui font qu’on se forge et grandit ensemble et que de la rencontre entre nos imaginaires naissent des projets concrets: des chansons composées, des histoires imaginées, des BD dessinées, des voyages partagés. L’envie était là, de raconter ce type de rencontres dans lesquelles deux enfants se forgent l’un l’autre. Restait à savoir qui seraient ces enfants dans le roman et de quoi serait fait leur imaginaire.
La machine s’est mise en marche lorsque, pour identifier les deux personnages du roman, j’ai relu deux textes courts écrits des années auparavant, et qui étaient les embryons de deux projets distincts. 
Le garçon, Marco, est né d’abord, il y a une dizaine d’années, dans un texte court qui, dans les grandes lignes, correspond aux deux ou trois premiers chapitres du roman tel qu’il existe aujourd’hui. Mais le récit s’arrêtait là: c’était une historiette qui se déroulait le soir de l’anniversaire des dix ans d’un garçon. Alors que tous les invités sont partis, il trouve un dernier cadeau, anonyme: un pull épais. Il se met alors à rêver et extrapoler à partir de ce pull. Il imagine qu’un pull de cette épaisseur ne peut être conçu que pour aller dans l’espace (il fait très froid, là-haut).
Quelques années plus tard, j’écrivais un autre texte (un projet d’album) qui mettait en scène une fille qui, chaque week-end, déménage sa chambre (son lit, ses objets, ses meubles) dans un terrain vague pour se recréer une chambre en plein air.
Deux textes courts donc, qui étaient restés dans mes tiroirs comme d’autres, mais qui ont passé l’épreuve du temps, puisqu’ils continuaient à me revenir en tête régulièrement.
L’idée que ce soient précisément ces deux enfants-là qui se rencontrent dans le roman m’a enthousiasmé. 
Je suis ravi qu’on ait opté pour un titre qui soit aussi simple que leurs deux prénoms, plutôt que de se sentir forcés d’évoquer les extraterrestres (le dessin de couverture de Charles Berberian est déjà bien clair sur ce sujet).

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Le roman «Pauline et Marco» raconte avec tendresse et drôlerie la rencontre de deux enfants (© Hélium)

Est-ce que comme vos héros, Pauline et Marco, vous croyez aux extraterrestres?
Oui! Ce serait étonnant d’être les seuls êtres vivants de l’univers.
Mais, plus simplement, sur Terre, j’y crois à la manière de Pauline: j’aime le sentiment, lorsqu’on se prend d’amour ou d’amitié pour quelqu’un, que cette personne vient d’ailleurs. J’aime l’envie qu’on a alors de revoir cette personne, parce qu’on sent que sa manière d’être est si particulière (extraterrestre) qu’elle peut nous échapper, lorsqu’elle s’en va. Il y a un chapitre, au moment où la narration se passe dans la tête de Pauline, durant lequel elle explique comment, dans la rue remplie de monde, ses yeux sont exercés à identifier «les personnes qui ont le potentiel d’être des extraterrestres». Au fond (mais c’est peut-être une lecture d’adulte), on peut se demander si elle croit réellement aux extraterrestres, ou si ce qu’elle dit est plus simple: «J’aime repérer des gens qui, par leur manière d’être, me plaisent. Et quand c’est le cas, le reste s’efface». 
Et je crois beaucoup, aussi, aux extraterrestres que dessine Charles Berberian dans ses illustrations: ceux qui sont visiblement des humains déguisés. En réalité, la question de savoir si Marco est un véritable extraterrestre ou non est réglée dès la première page du roman. Ce n’est pas cette question qui est au cœur du récit.

Pouvez-vous partager avec nous votre parcours du Liban à la France?
Je suis né en 1985, en pleine guerre civile au Liban. La ville où nous habitions était relativement épargnée mais lorsque notre région a commencé à être plus touchée, à partir de 1989, mes parents, mon frère et moi sommes partis nous installer un moment en France. J’ai passé cinq années, de 1990 à 1995, dans les Yvelines en région parisienne. Cinq années d’enfance (les années où on apprend à lire, à écrire et à mieux parler), qui ont été un véritable ancrage culturel. Je suis resté essentiellement francophone depuis. Je parle bien sûr arabe, mais avec moins de fluidité et moins de nuances que lorsque je m’exprime en français.
Je suis revenu au Liban à l’âge de dix ans, au nord de Beyrouth. J’y ai suivi ma scolarité jusqu’au Bac. Je suis ensuite revenu en France pour deux premières années d’études (en Arts appliqués). Mais j’ai finalement décidé de poursuivre mes études au Liban, dans une section diplômante en Illustration et Bande dessinée qui venait de voir le jour à l’Académie libanaise des Beaux-Arts.
Cette section est une véritable petite famille: nous nous connaissons tous, et comme peu après mes études je suis devenu enseignant à l’Académie (jusqu’à ce jour), je continue à être très lié à cette petite communauté d’illustrateurs locaux.
En tous cas, je revendique totalement ce double ancrage. Sans que ce ne soit traité de manière frontale, il est au cœur du roman précédent, paru également chez Hélium: Que fait-on quand il pleut? (avec des illustrations de Julia Wauters).

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Le double ancrage culturel de l'auteur transparaît dans «Que fait-on quand il pleut?» (© Hélium)

Vous vivez actuellement au Liban, comment se passe le contact avec votre éditeur français, Hélium?
L’essentiel du travail se fait à distance. Mais je dois dire que ça n’enlève rien à la qualité des échanges. Je suis ravi du suivi éditorial que j’ai la chance d’avoir avec les éditions Hélium. Le texte de Pauline et Marco ne serait pas ce qu’il est sans l’investissement, la sensibilité et l’intelligence du suivi de mes éditrices: Sophie Giraud, qui dirige la maison, et Leàn Briet, qui a suivi le projet de bout en bout.

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Le Liban de Ralph Doumit, côté ville et côté montagne (© Ralph Doumit)

Comment organisez-vous votre temps d’écriture? 
Le fait que je sois papa d’une enfant en bas âge, couplé au fait que l’écriture ne constitue pas l’essentiel de mes revenus, fait qu’il s’agit d’un jeu d’équilibriste. Si je laissais couler les journées naturellement, il n’y aurait pas beaucoup de temps pour écrire. Tout dépend ensuite de soi: j’ai décidé, quelles que soient les circonstances, qu’une ou deux heures par jour seraient consacrées à l’écriture. C’est quelque chose que je gère avec ma compagne aussi: on s’alterne pour se donner ce temps, moi pour l’écriture, elle pour le théâtre et la musique.

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Le petit coin écriture de Ralph Doumit dans l'appartement familial (© Ralph Doumit)

Vous êtes également illustrateur. Que préférez-vous, écrire ou illustrer?
J’en parle souvent comme d’un malentendu, en exagérant un peu, bien sûr. Passionné de BD depuis l’enfance, j’ai d’abord cru que c’est à travers ce médium que je souhaitais raconter des histoires. J’ai peut-être confondu une passion de lecteur et une passion de praticien. 
Je me suis rendu compte avec le temps que l’écriture pouvait me donner des insomnies (des insomnies agréables: dans le sens où je ne peux pas m’empêcher de penser avant de dormir aux choix que je fais lorsque je suis en train d’écrire un roman) alors que le dessin n’a pas cet effet sur moi. Le dessin reste pour moi comme un «jeu». Un jeu qui m’amuse, mais pour lequel j’y ai moins d’implication et sans doute moins à donner. Cela dit, c’est un jeu dont je ne voudrais pas me passer et qui est toujours très présent dans mon quotidien et dans ma vie professionnelle.

Les ouvrages que nous vous connaissons sont-ils parus en arabe, au Liban? Et y en a-t-il d’autres que nous ne connaissons pas encore? 
Pas de traduction des deux romans parus en France (Que fait-on quand il pleut? et Pauline et Marco) jusque-là. Mais, il y a une quinzaine d’années, un premier roman était paru au Liban (Le trèfle et les quatre royaumes). Un récit d’aventure écrit lorsque j’avais 24 ans à la sortie de mes études, qui a connu une double édition, l’une en français (l’originale) et l’une en arabe, chez Samir Éditeur.

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En miroir: le même roman, mais en deux langues différentes (© Samir Éditeur)

Vos livres publiés en français sont destinés aux enfants. Quel est votre attachement à l’enfance?
Je me dis souvent que le passage de l’enfance à l’âge adulte n’est pas une transformation. Que c’est plus de l’ordre de l’addition. Autour de l’enfance, s’ajoute toute l’expérience adolescente puis adulte. Rien en somme qui supprimerait la part d’enfance en nous. 
Dès lors qu’on pose ça: écrire un texte qui ne parlerait qu’aux adultes (et qu’à l’adulte en moi) n’engloberait pas tout ce que je suis et ne me satisferait pas pleinement. Mais, étant aussi adulte, j’aurais la même insatisfaction si j’écrivais des histoires qui excluent les lecteurs adultes. J’espère que ce n’est pas le cas et que Pauline et Marco peut être apprécié par les grands.

Qui sont les auteur·rice·s de littérature jeunesse qui vous inspirent?
J’ai beaucoup d’affection pour un roman, publié dans les collections jeunesse, d’un auteur qu’on connait surtout pour un livre destiné aux adultes. Il s’agit de L’histoire de Monsieur Sommer de Patrick Süskind (l’auteur du Parfum). Ce petit roman, illustré par Sempé, n’a pas d’intrigue à proprement parler, mais ce sont des successions de moments et de scènes pleins d’atmosphères. Depuis la lecture de ce livre, je sais que lorsque j’entame un projet de récit, je procède dans cet ordre: d’abord lister de manière intuitive une série de scènes qui me donnent envie d’écrire (pour leur atmosphère, pour le «goût» qu’elles ont), sans immédiatement penser à l’architecture du récit. L’intrigue vient dans un second temps, comme un liant entre ces scènes.
Mais au-delà des livres, j’ai dernièrement beaucoup d’attrait pour certains textes de chansons pour enfants. Je pense par exemple à l’album de chansons Ariol chante comme un Rossignol, écrit et composé par le scénariste de la BD Ariol, Emmanuel Guibert. Chacune de ces chansons est une pépite. Ou aussi le générique de fin de la série d’animation Père Castor, écrit et composé par Florence Caillon, et qui me fait hérisser les poils d’émotion (c’est une variation sur le thème du générique du début). Je découvre dernièrement ce que Florence Caillon a fait depuis, notamment une très belle adaptation du Lac des cygnes pour un spectacle qui mêle danse et cirque.

Votre dernier livre coup de cœur?
Je viens de terminer la lecture de la trilogie Alma, de Timothée de Fombelle. C’est une œuvre ambitieuse. Timothée de Fombelle a une écriture qui, sur plus de 1500 pages, n’est jamais paresseuse, comme s’il ne se permettait à aucun moment d’être en «écriture automatique». Aucune phrase n’est neutre. C’est exigeant de sa part mais aussi pour le lecteur, à qui il est demandé le même investissement pour en apprécier l’ensemble. Le résultat, si on joue le jeu, est une expérience de lecture assez unique, à la hauteur de l’ambition de ce récit.

Quels sont vos projets?
Après Pauline et Marco, j’ai l’envie de me plonger dans un récit plus ample. Sur la couverture du cahier sur lequel je suis en train d’écrire les premiers chapitres de ce nouveau projet, est écrit «La trilogie» (nous verrons bien). Mais j’ai posé quelques règles du jeu, dont la principale est: «Même si le récit est ample et qu’il y aura création de monde, les évènements doivent être ressentis à l’échelle des individus et concerner leur individualité».

Et vos rêves livresques pour la suite?
J’aime considérer l’écriture de romans comme un terrain de liberté, qui m’appartient. C’est presque une hygiène de vie de se donner ce temps-là face à une page blanche. Je voudrais donc d’abord préserver et nourrir ça. 
Mais j’aimerais, en parallèle, m’appuyer sur cette expérience pour explorer des terrains d’écriture où le lien est plus instantané et direct avec les gens: comme l’écriture de chansons, ou d’histoires interactives (applications, jeux, avec une forte composante de narration).

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