Au bout du monde

Vera habite le Kamtchatka en Russie, dans l’hémisphère nord,

Lukas habite au Chili, dans l’hémisphère sud,

Entre eux deux, l’immense océan Pacifique.

Une ligne souple de 15'000 km mise à plat sur une carte où ne figure pas l’Occident « prouve » que nous sommes des deux côtés du monde.

Anna Desnitskaya, autrice russe, chamboule nos représentations puisque, à mi-parcours, le récit d’abord centré sur Vera, se renverse pour laisser la parole à Lukas. Elle figure concrètement le basculement nord/sud par l’impression tête-bêche qui oblige le lecteur à retourner le livre.

Cette vie sens dessus-dessous s’accompagne en parallèle d’une unité de récit : du Nord au Sud (et réciproquement) un adolescent a « des trucs préférés », une famille, et si les conditions de vie diffèrent, il·elle éprouve le besoin d’amitié, d’amour.

Au bout du monde tient ensemble les particularités culturelles propres à chaque société et l’universalité des fondamentaux de l’humanité. Au titre des particularismes, les relations familiales : la babouchka de Véra cuisine pour la famille alors que Lukas échange avec sa grand-mère par voie numérique ; Véra vit avec sa mère et sa grand-mère, Lukas a des sœurs, vit avec son père. L’illustration signale la proximité de la mer et la diversité des modes de vie : grands immeubles du Kamtchatka, maison individuelle du Chili. Elle signale aussi la communauté de désirs des adolescents, leur manque profond d’ami·e.

Entre les deux une ligne imaginaire sépare les deux hémisphères. Elle coupe, avec humour, un cétacé en deux et fait voler en sens contraire les oiseaux. À côté d’eux, un ami imaginaire et entre eux, non pas une bouteille à la mer mais un code, international, donne forme à leur présence, le morse.

Au bout du monde est un album fort dans sa simplicité narrative, son illustration lisible et convaincante, on croit aux personnages présentés. La force et la pertinence dans sa représentation du monde développent un message humaniste et chaleureux qui émeut.