Demain est (presque) un autre jour
L'avis de Ricochet
Pour s’endormir, voici un album dont l’originalité va nourrir de nombreux rêves ! C’est une histoire d’amitié, celle qui unit trois hurluberlus, Jaunejohnny, Polo (bleu) et Gojo (rouge), imaginés par le peintre Michel Galvin. L’allure dégingandée, le costume à brandebourgs, les couleurs acidulées et ce sérieux caricatural évoquent immanquablement les Beatles, les quatre copains de Liverpool, à l’époque de l’album Sgt. Pepper's, et animent d’une fantaisie débridée l’album que l’artiste publie aux éditions du Rouergue. Il manque un quatrième luron dans cette folledingue aventure, d’ailleurs la dédicace va à « Ringo, l’étoile manquante », peut-être à cause de son costume rose ? En tout cas, c’est dit, la créativité n’a pas de limite temporelle, tant mieux !
Alors que les contreplats ouvrent déjà la porte et que la lumière de ce nouvel univers illumine Chien et Chat assis dans l’attente sur le seuil, la page de titre annonce le programme : Demain est (presque) un autre jour. Bizarre, quand même, ce « presque »… Jaunejohnny s’en va, martial dans sa redingote jaune avec son cabas à carreaux qui contient le pique-nique à partager avec ses deux compères. Il « se promène dans son histoire », écrit l’auteur. Tiens donc, en voilà une façon de commencer un récit, déjà une mise en abyme, déjà un pas de côté !
Il faut dire que le décor surréaliste est une invitation au bavardage, on n’est pas prêt de dormir ! Qu’est-ce donc que cet arbre posé sur un îlot vert ? Et ces traits fins et ondoyants qui traversent l’espace d’une page au fond blanc estampé en gris-bleuté, et qui dessinent des esquisses de chemins, d’îles, de bosquets, comme une vraie proposition poétique ? Mais suivons le larron et tournons la page. Le vent s’est levé, semble-t-il, et fait ployer le pin parasol là-bas sur l’horizon ; un lapin s’enfuit prestement, chaque détail fait mouche. Jaunejohnny se presse vers la page 22, « pour le pique-nique habituel du milieu du livre » : encore une allusion à quelque cérémonial partagé de lecture ou de banquet, qui sait ? En tout cas, c’est comme ça, l’histoire se répète, ou bien alors ce genre d’histoire est très fréquent dans la littérature pour enfants ? Qu’importe, on réfléchira plus tard aux pensées cachées de l’auteur, car là, « problème » ! « Une espèce de mochetache toute louche », oh, l’allitération chatouille la bouche, mais en effet, la tache fait tache et s’étale sur la page.
Le texte alors prend son envol : « [c]’est quoi ce truc, ce machin, cette ganache ? », ou encore, « [q]uand ça gâche, on cache ! ». Les trois amis lâchent leurs cabas et s’arc-boutent, silhouettes de papier translucides et fragiles, pour bouter la tache hors de la page, tache qui se met à glisser, pas pour de vrai mais quand même, quel effet ! Car si la tache tombe vers le bas, elle réapparaît en haut bousculant par surprise les trois compères éberlués. Galvin brasse du gag, les Marx Brothers comme Laurel et Hardy ne sont pas loin. Heureusement, Jaunejohnny n’est pas à court de solutions et la tache va partir emballée dans la nappe du pique-nique pour un voyage sans retour dans « la mâcheuse à laver, qui salive déjà sa lessive ». Oh ! que l’invention langagière est savoureuse ! La tache piégée, « [l]a machine en fera son festin pas plus tard que demain et par ici la sortie ! ».
Comment se retenir de citer ce texte surprenant, tonitruant, désopilant ! Mais le décor se gâche et la noire salissure s’étale et se propage débordant les trois personnages qui se séparent pour mieux recommencer… La nuit, quand les chats sont gris, le ciel est bleu violet. Dans leur rêve, Jaunejohnny, Polo et Gojo se baladent dans les étoiles comme trois lumignons, quand ils se heurtent tout à coup à … !
Mais « [o]n verra ça demain », quand on découvrira ce bel album poétique et plein d’humour. Un régal.
Présentation par l'éditeur
Comme tous les matins Jaunejohnny prend son cabas et va rejoindre ses compères Gojo et Polo pour le pique-nique de la page 22. Seulement voilà, une énorme tache vient maculer les pages de l’histoire. Les trois compères s’efforcent de la déplacer, en vain. Ils finissent par la cacher sous la nappe et bon débarras ! Mais la tache laisse des traces, elle est tenace et réapparaît en négatif dans les rêves des trois amis dès la nuit tombée.