Echancrure

Thomas est en un adolescent en colère. Les adultes lui répètent qu’il doit penser à son avenir. Celui de son mère, caissière esclave de clients odieux, celui de son beau-père vautré devant la télé du matin au soir, celui de ses profs dépressifs ? Non merci, il n’en veut pas. Tous ses espoirs sont incarnés par Sandrine, sa jolie voisine qu’il rêve d’emmener loin des griffes d’un père alcoolique et violent. Il sèche souvent le lycée professionnel pour se promener et voler des livres, objets auxquels il voue un culte de collectionneur : il aime en caresser le cuir, sentir l’encre et la finesse du papier, mais ne les lit pas. Un jour qu’il s’apprête à voler un Pléiade de Maupassant, une vieille dame le surprend et lui offre l’ouvrage. Un lien se tisse, très fragile et silencieux, entre ces deux êtres. Micheline, prof de lettres retraitée, retrouve chez ce jeune la même fureur et la méfiance qu’elle avait vu jadis dans les yeux d’un de ses élèves. Thomas lui confie qu’il a besoin d’air, de respirer le sable, la mer et le ciel, avant de revenir dans son quotidien emmuré. Avec son copain Tony, ils volent une voiture et emmènent Sandrine. Manger des crêpes, rigoler sur la plage, sentir le vent marin les décrasser, et pour quelques heures, poser le poids qui les cloue au sol. Mais au retour, le drame survient, et plus dure est la chute.
Le récit de cet adolescent écorché vif est prenant par son écriture incisive, à la première personne. Le style est parlé et poétique à la fois, les émotions et sentiments de Thomas nous sont livrées sans fioritures.
Thomas est un héros tragique, pris dans un engrenage qui lui échappe. Chaque évènement le rapproche davantage de l’issue fatale, il ne peut échapper à son destin.
Le personnage très doux et attachant de Micheline permet au lecteur de prendre du recul par rapport au discours de Thomas, de le voir de l’extérieur.
Derrière l’histoire particulière de Thomas, on devine l’histoire de milliers de jeunes des quartiers, stigmatisés par les médias, la politique et l’opinion. Quelques remarques à ce sujet sont d’ailleurs égrenées dans le roman.
Un roman bouleversant au style irréprochable, une véritable tragédie antique transposée dans nos banlieues urbaines.