Hekla et Laki

Au bord d’un lac gelé, un vieil homme veille d’un regard très doux la silhouette d’un petit bonhomme coiffé d’un bonnet de lutin, perché sur deux cailloux empilés, campé pieds et bras écartés face à l’immensité liquide, fasciné et prêt à s’élancer. À partir du souvenir marquant de deux volcans islandais, l’un toujours actif et très surveillé, l’autre éteint depuis des milliers d’années, Marine Schneider crée Laki et Hekla, le vieil homme et l’enfant, une première image qui nous incite à découvrir leur histoire.

L’album, Pépite d’or du Salon de Montreuil en 2022, est un grand format qui permet à son autrice, talentueuse Marine Schneider, de développer son amour et son art de la couleur, des couleurs. L’illustration est splendide, avec un découpage varié et expressif, de l’accumulation de vignettes d’expression à la succession d’images de situation comme un album photo qui décrirait les états du site au fil des saisons, contemplés au travers des fenêtres qui remplacent pour nous, lecteur, le regard de Laki méditant, jusqu’aux doubles pages déployées sous les yeux du petit Hekla découvrant le monde dans la deuxième partie de l’ouvrage.

Les silhouettes sont à peine soulignées d’un fin trait de peinture ou d’encre noire, ce qui justement les dynamise, l’expression des visages est du coup très finement rendue, notamment par la petite double ride au coin de l’œil plissé de joie, le haussement d’un sourcil pour une mise en garde, les joues gonflées et la bouche froncée du gourmand qui s’empiffre, ou encore sa pupille vissée au coin de l’œil qui vérifie la vigilance de son compagnon… Autant de signes pour dire la tendresse qui unit ces deux-là, comme la lumière qui émane de l’orange Hekla réchauffe les genoux et les mains caressantes du vieux Laki, bleu et sombre comme les montagnes environnantes.

Car la couleur phare de l’album c’est cet orange pantone emblématique des éruptions volcaniques qui illuminent l’atmosphère obscure et glacée de l’univers sauvage de l’Islande. Orange comme l’horizon annonciateur du vent tempétueux qui soulève cet éclat de braise, petit bloc de lave duquel naît l’enfant, projeté dans les airs, métaphore à la fois de la naissance et du constant bouillonnement souterrain (comme dans l'album de Marine Rivoal, Magma, Rouergue, 2022), double allusion à l’énergie de la vie. Son rayonnement se diffuse dans chaque page de la première partie : il s’enfonce d’abord dans la terre froide et noire, puis éclaire la maison isolée du vieil ermite Laki et enveloppe sa vieillesse de la lumière et de la chaleur de l’enfance.  

La magie de cette apparition évoque les légendes nordiques, quand l’écoulement de la couleur bleu nuit, qui laisse la silhouette de Laki comme une enveloppe vide, suggère sa disparition avec délicatesse et sagesse. Marine Schneider déroule ainsi le fil de son histoire comme un conte d’autrefois, un récit d’apprentissage, l’histoire d’un enfant qui grandit veillé par un grand-père inquiet de disparaître avant que le petit soit prêt à affronter la vie, ses dangers comme ce lac gelé qui recèle mille trésors mais autant de pièges. Et puis, l'élan vers l’aventure de l’existence projette ce nouveau petit prince et le pousse à grandir. Texte et image s'entremêlent pour entraîner le lecteur à sa suite, en le berçant sur un air de légende, une merveilleuse adaptation contemporaine de la tradition du conte d’éducation.