Heureusement il y a Gertrude !

Dans une ferme basque, verte et rouge, où pendent en guirlande des piments d’Espelette, tout est tranquille car… « Achille monte la garde. » C’est ce que dit le texte, mais roulé en boule, les yeux fermés et les oreilles tombantes, l’image raconte que, gardée ainsi par le chien, la ferme n’est pas très sûre. Mais « Heureusement, il y a Gertrude ». Depuis les oies du Capitole, on sait que les oies peuvent jouer le rôle de lanceur d’alerte. Elle est représentée en gros plan, l’œil noir et le sourcil dressé, en vigie. Or, que voit –elle ? « un nez dans la haie ». « Tu crois ? caquette la poule. »

La composition des images donne à voir la perception de Gertrude : derrière un buisson, se profile une truffe noire et un museau orange et blanc, auquel la poule tourne le dos. Elle ne peut pas le voir, l’innocente. Gertrude et le lecteur, si ! Gertrude voit ainsi le nez, deux yeux, deux oreilles, deux pattes. Le dindon, la chevrette, la brebis n’en tiennent pas compte et même, ils se moquent de leur gardienne. Le dialogue est savoureux dans son extrême simplicité et lorsque l’oie voit le long corps, la truie grogne « oui c’est bien vrai », il est déjà trop tard, le renard s’élance et la vache (on ne voit d’elle qu’un bout de queue s’échapper de l’image) mugit sottement « ça fait peur ! », en aussi gros plan que l’oie effrayée, la gueule du renard effraiera le lecteur jusqu’à la fin heureuse de l’affaire !

Une très jolie mise en scène et en images de cette histoire au schéma classique où les décalages subtils entre ce qu’on voit et ce qu’on lit, entre des niveaux de langue, des variations sur le thème que seuls percevront les plus grands, permettent une lecture à plusieurs niveaux d’une grande efficacité narrative à l’humour vraiment très réjouissant.