La Fille de Noé

On sait que Noé avait trois fils, on connaît moins sa fille Timna (et pour cause, l’auteur l’a créée). C’est elle la narratrice de ce récit du Déluge à bord de l’Arche. Noé, patriarche à la foi inébranlable, est présent de manière lointaine. Le lecteur suivra donc ici sa seule fille Timna, mais aussi sa femme, soumise sans être dupe, son aîné extrémiste et dangereux, ses brus un peu perdues... Aidée de son frère cadet, Timna va introduire deux passagers clandestins dans l’Arche, un jeune garçon et sa petite sœur. La vie est dure, les animaux sentent mauvais et on manque de nourriture fraîche. Les tensions s’attisent. Démasquée, Timna est accusée par son frère aîné d’être un démon : il faut la tuer. Sa mère parvient à la faire s’échapper à bord d’un radeau avec le jeune homme qu’elle avait sauvée. « Toute mer a deux rivages », et Timna a alors autant de chances de survie que Noé.

Géraldine McCaughrean réalise un ambitieux ouvrage avec cette réécriture d’un épisode de l’Ancien Testament. Il n’est point question de subversion, mais de réaffirmation d’un Dieu-Amour qui n’a pas voulu la disparition de tous les hommes. Le fanatisme est fustigé, et les femmes retrouvent une place prépondérante, même si cachée. Ce sont elles qui portent la vie, et les projets de hommes ne se concrétiseraient pas sans elles. Jeune fille passionnée et spontanée, Timna trouve et suit la voie de son cœur, dans ce cas celle de la sagesse… L’écriture fluide, d’une simplicité et d’une correction exemplaires, navigue entre passages d’actions et d’introspection (nombreux monologues intérieurs). La construction chronologique du roman journée après journée permet d’alterner de manière originale les narrations, entre Timna et les différents êtres vivants présents sur l’Arche, humains ou animaux (les pensées de ces derniers confinent parfois à la poésie : voir « le jour du gnou », pp. 97-98). Le talent de l’écrivain, déjà reconnu, éclate dans cette entreprise délicate parfaitement maîtrisée, salutaire en ce début de XXIème siècle où les religions sont interprétées pour le meilleur et souvent pour le pire. A lire et à faire lire, par les jeunes comme par les adultes.