La forêt, l'ours et l'épée
L'avis de Ricochet
Dans La forêt, l’ours et l’épée, Davide Cali s’allie à l’artiste estonienne Regina Lukk-Toompere pour mettre en vedette la forêt, celle des contes. Mais ce lieu puissamment évocateur est ici sacrifié sur l’autel de l’ego du deuxième protagoniste : un ours pour lequel Davide Cali nous offre une vision renouvelée bien éloignée du « nounours » des histoires enfantines. Celui-là est un ours qui clame et qui tranche, explique l’auteur, râleur, va-t’en-guerre, pourfendeur de son état. Et avec son épée, que Regina Lukk-Toompere magnifie comme un objet magique, toute nervurée de gravures entrelacées, voilà cet ours présenté en armure ; mais, chevalier de sa propre cause, il est déterminé à trancher le lard de celui ou celle qui a provoqué l’effondrement de son château, ou son fort, un lieu de retranchement... comme quoi on a tous parfois besoin de se mettre à l’abri.
Dès le premier paragraphe on y est : « Il était une fois un ours ». L’auditoire est captivé par la formule tout autant que par l’interprétation de Regina Lukk-Toompere, une grande illustratrice, pourtant méconnue en France, qui campe l’animal le nez en l’air et l’épée conquérante en majesté au centre de l’image, comme un prolongement de lui-même. À leurs pieds et virevoltant encore sous l’effet des coups assénés, un ensemble d’objets dont beaucoup proviennent déjà de la forêt, comme des baies, des champignons, des feuillages. Le travail du motif comme celui de la palette, avec des couleurs mates et un peu acides, évoquent un Moyen Âge de légende, des tapisseries d’Aubusson, dans le traitement de la végétation, mais aussi dans le costume de Messire Ours, de son écu, minutieusement dessinés et ornés. Toutefois, cette préciosité le fait apparaître comme vêtu d'un costume de carnaval incongru dans cette représentation poétique de la nature. L’aspect massif du personnage en est tout déséquilibré ; la dérision est l’ingrédient essentiel de ce conte, et la mise en images le suggère instantanément au lecteur. Cette histoire est une vraie mascarade !
Au Carnaval, ce grand renversement est fréquent (on rit jaune souvent) et l’auteur introduit très vite une tension dans son récit, puisque l’ours, aveuglé par le pouvoir de son épée, va faucher sans y penser toute la forêt autour de lui ! Bien sûr, le lecteur se demande ce qu'il va advenir. Alors Davide Cali déroule le fil de son conte par l’énumération inversée d’incidents qui ont conduit l’ours à participer à la destruction de son propre abri, ce fort qui s’écroule sur lui un jour que le barrage voisin cède. Or, le barrage s'est brisé parce que les belettes ont eu peur du sanglier, qui a fui devant le renard, qui a voulu punir les oiseaux, qui n’avaient plus d’arbres où se percher autres que ceux du verger du renard, et qui en ont mangé tous les fruits... Un enchaînement digne des meilleurs contes populaires et qui fera applaudir le public conquis ! La représentation du bestiaire et l’illustration de chaque épisode sont d’un humour savoureux, mais le désarroi des oiseaux voletant dans l’entrelac de branches et de troncs affalés est tangible, grâce à l’expressivité du travail de Regina Luuk-Toompere.
Et là où s’arrêterait la comptine, comme dans la chanson d’Angelo Branduardi (Alla fiera dell’este), le conteur, lui, rebat les cartes : le lecteur contemple le gros nounours assis à califourchon sur un tronc, la mine contrite, lorsqu’il comprend qu’il est lui-même l’artisan de toute cette pagaille. Quand il tourne la page, il est invité à découvrir comment page après page, le conquistadOurs va piteusement s’excuser auprès de chacune de ses victimes et tenter de les aider à reprendre le cours de leur vie.
C’est un conte, un récit universel et intemporel : c’est vrai qu’autour de nous, des pourfendeurs d’opérette, qui tranchent la branche sur laquelle ils sont assis près de nous, ce n’est pas cela qui manque… Ce conte-là devrait faire discuter et réfléchir, son auditoire et ses lecteurs.
Présentation par l'éditeur
Cet ours est un guerrier. Avec son épée, il coupe tout ce qu'il trouve. Même la forêt ! Un jour, le fort où il habite est emporté par les eaux du barrage. La faute à qui ? Au sanglier ? Au renard ? Aux oiseaux ? À moins que les tours que nous jouons à la nature nous retombent parfois sur la truffe ?!