Là où dort le chien

Miki, jeune fille noire, et Jonas, garçonnet blond comme les blés, vivent avec leur mère Mady dans un camping-car. Le quotidien n’est pas facile mais la fantasque Mady est persuadée que la chance va les rattraper et ne plus les lâcher. En attendant, Miki et Jonas s’évadent en imagination. Dans une grande maison inoccupée, ils jouent à être les défunts enfants de la propriétaire. Jonas en vient à confondre réalité et illusion, et Miki sera effleurée par l’idée que son petit frère ait pu séquestrer Léa, une fille récemment disparue dans les environs. Heureusement, il n’en est rien, et la petite famille part bientôt pour Bordeaux, où Mady a fait un héritage inespéré.

Quand on est plus ou moins satisfait de sa vie, il est parfois facile de s’en inventer une autre. Changer de noms, d’habits, piller des albums photos pour en remplir le sien, observer des rituels… Le risque de perdre pied existe. Si Miki joue de ses grandes capacités imaginatives (et manipulatrices de temps en temps : elle sait faire l’enfant aussi bien que la femme), elle est moins influençable que son jeune frère Jonas. Et aussi moins tracassée par l’idée de retrouver la jeune disparue… Jonas aime se faire peur – il a soi-disant enfermé un chien dans un cabanon au fond du parc, et tremble à l’idée d’aller le nourrir – et cela le dépasse. Au point que lui-même ne sait plus trop qui est qui, ce qu’il voit et ce qu’il fait. Le départ à Bordeaux, vers une nouvelle vie de famille stable, est pour lui la chance, non pas de détruire son imaginaire, mais de le canaliser dans des limites moins dangereuses. Jean-Paul Nozière retranscrit à merveille les va-et-vient de la pensée des enfants, leur plongée dans une délicieuse schizophrénie heureusement sans conséquences. Un narrateur anonyme centré sur Jonas permet au lecteur de mieux comprendre, par contraste avec Kimi plus distante et adulte, les méandres des sentiments du garçon. Le frère et la sœur, si différents physiquement, entretiennent une relation très forte et intime, se protégeant l’un l’autre. La preuve que Mady, éternelle optimiste, n’est pas forcément une mauvaise mère ! Un roman psychologique haletant !