La randonnée

En début d’année scolaire, réunir dans un projet commun Damien, Lisa, Mariam, Lukas et Jennifer, cinq adolescents déstructurés, mais tous volontaires, c’est l’ambition de cette randonnée montagnarde proposée par Jeff, leur éducateur. Un minibus, des tentes, de bonnes chaussures et l’aventure commence. Peu à peu, les citadins mal à l’aise découvrent les duretés de la marche, les blessures, mais aussi l’apaisement face à la nature, la respiration qui s’ouvre, la lumière qui monte, la fierté du feu allumé, le bonheur du bain dans l’eau froide quand les complexes tombent, la puérilité joyeuse des guimauves flambées. Les adolescents occupent chacun un rôle, Damien en leader, Lukas, fragile mais résistant, les filles jouent les starlettes. La description des adolescents qui se cherchent, s’accrochent, se découvrent petit à petit est d’une grande justesse, relayée par des regards rétrospectifs sur la vie cabossée de ces ados écorchés vifs. La marche aidant, la satisfaction de l’effort récompense les jeunes et Jeff peut se féliciter de la réussite de cette vie commune où ils apprennent à vivre ensemble en deux jours. L’écriture transcrit aussi bien la peine que l’allégresse mais le lecteur est sur ses gardes. A peine si de temps en temps, l’un ou l’autre entend un bruit étrange, ou remarque une trace, surprenants, vite oubliés dans la tension collective.
Christophe Léon écrit une sorte de robinsonnade, avec isolement et apprentissage de la vie commune mais au détour du chemin, la catastrophe pressentie s’abat, sans rémission. La comédie de mœurs des émois adolescents bascule dans la tragédie construite classiquement, le mal rôdait invisible, un seul lieu, une seule action, des héros qui ne peuvent pas échapper à leur destin. Déterminisme social ou manipulation divine, dans cette tragédie moderne, les héros, petits trop petits ne pèsent rien, broyés par la bêtise. L’illusion de la rédemption s’achève en roman noir et laisse le lecteur assommé. A la violence initiale des adolescents qui se résorbait, réplique celle des adultes. La seconde est sans espoir. Un roman très fort.