Le chant du Marais

Il y a bien longtemps, se tenait chaque année un concours de chant dans le quartier du Marais, à Paris. De jeunes garçons affrontaient leurs voix et les rivalités pouvaient devenir féroces. Marcellin le Beau jalousait ainsi depuis quelques années Bernon l'Enfant, plus doué que lui. Le catholique Marcellin en vint à tuer le protestant Bernon, sans se douter que l'âme du mort le hanterait. En effet, Bernon revient sous la forme de son crâne, lequel se met à chanter et dérange la quiétude de Marcellin en le poursuivant.

Ce dernier finit par renverser la situation en gagnant sa vie avec des spectacles itinérants de ce crâne magique. Jusqu'au gouverneur du port de La Rochelle veut entendre le miracle... Marcellin négocie son poids en or à cette occasion. Mais le crâne refuse d'émettre le moindre son et Marcellin est mis à mort pour avoir menti.

Ce beau texte de 2002 a été revu vingt fois par Pascal Quignard, ainsi que transposé au théâtre. Les éditions Chandeigne en proposent une version illustrée très cruelle. Des fonds noirs sur papier glacé se strient de quelques traces vertes, représentant l'eau de la Seine dans laquelle Bernon meurt… Seuls quelques détails vivants flottent ou volent : des fleurs, des insectes. Mais le morbide domine, sous la forme d'un cercueil, d'un pressoir (ou d'un instrument de torture en bois ?), d'un oiseau mort, d'une souris à la tête coincée, etc. Un enfant n'apparaît qu'une fois, au début de l'ouvrage. Tout le reste se passe en suggestion, et l'histoire n'est pas directement dessinée page à page. Rajouté à un effet de gravure et des tons sépia, l'atmosphère picturale s'accorde à merveille au ton posé, factuel, plein d'effroi du récit. Conte féroce sur fond de guerres de religion, variation sur la vanité humaine, Le chant du Marais trouve ici un écrin éditorial parfait.