Le feuilleton de Tsippora

Tsippora. Qui connaît l’épouse de Moïse, celui qui conduisit le peuple élu hors d’Égypte ? Dans sa préface, Delphine Horvilleur souligne l’intérêt de la démarche de Murielle Szac : toute lecture est interprétation. Si elle prête à discussion, à controverse parfois, la légitimité de l’acte d’interprétation est incontestable, car elle est constitutive pour le lecteur, la lectrice.

Dans ce nouveau feuilleton, dont les précédents mythologiques ont tant de succès, Murielle Szac est lectrice, mais elle est aussi conteuse, celle qui, pour dérouler le conte comme un long fil de cent épisodes, se l’approprie pour le mémoriser. Elle brode donc, elle imagine, les aventures mouvementées de ce couple amoureux Moshé et Tsippora. Instants magiques, belles histoires qu’on lit comme on écoute, empreintes de respect et de tolérance, l’ensemble, illustré par Joëlle Jolivet, est un ravissement de lecture, propice à l’enchantement d’un public captivé.

Le défi réside dans l’origine de ces développements originaux : la trame de son récit, c’est la Bible, Le Livre. Si Murielle Szac n’est pas la première à s’y frotter, sa démarche et le choix de Tsippora comme vectrice de l’histoire est un vrai défi, sans arrogance aucune : il s’agit simplement de rendre la parole et redonner vie à de multiples personnages secondaires. Les personnages masculins ne sont pas en reste, et le facétieux prophète Elie n’en est qu’un exemple : grâce à lui, Tsippora et les lecteur·rice·s vont relire le récit de la Création, et comment Ève tint tête à Yahvé. Mais il s’agit ici d’une femme, mais aussi d’autres femmes, Yokheved la mère de Moïse, Batya la fille du pharaon qui recueille l’enfant, Sarah, la malheureuse épouse d’Abraham, et sa rivale Agar, et aussi Kéziah la fille de Loth, révoltée par le rejet des habitants de Sodome… Certaines sont plus connues, mais Murielle Szac les nomme et les anime toutes : elles sont les vraies héroïnes de cette relecture passionnante, addictive et moderne. L’atmosphère de l’Orient recréée par Joëlle Jolivet en constitue le cadre lumineux, et le trait noir et sensuel qui souligne les personnages figure leur force et leur fierté.

Une belle version, d’une autrice qui imprègne ces pages de sa propre force et de sa fierté, pour un épisode important d’un ensemble culturellement essentiel, ainsi que beaucoup d’autres qui mériteraient aussi d’être mis en lumière.