Minute papillon !

Minute papillon, ou l’art du détournement ! On connaissait La chenille qui faisait des trous d’Eric Carle et son appétit énorme ! Gaëtan Dorémus la prend au pied de la lettre et en fait un ogre, plutôt grincheux d’ailleurs.

Cette chenille, un peu moustique avec son nez pointu, qui se prend pour un ogre, refuse les vulgaires légumes proposés au profit « de la chair fraîche », poisson, oiseaux, dinosaures ou enfants. C’est ce qu’elle prétend, qu’elle imagine et que l’auteur-illustrateur nous invite à voir. Texte et images fonctionnent à deux niveaux. Sur la page de gauche nous voyons une belle planche de légumes à la manière des ouvrages de botanique ou de l’Inventaire illustré des fruits et légumes d’Emmanuelle Tchoukriel et Virginie Aladjidi : l’objet de face, de profil, vu du dessus, dessous, en volume. Sur la page de droite, la voix sage du narrateur qui guide la lecture : « voici une chenille qui a faim », « voici une chenille qui mord dans un pâtisson », « …une chenille qui mange encore et encore ». Le ton est posé, le rythme lent, les légumes sont nommés, détaillés, haricots, fèves, artichauts, courges, piments, topinambours, d’autres encore et avec un peu de familiarité, « patates ». En-dessous de cette voix, en gros caractères, s’égosillant, la chenille proteste : elle ne goûte pas une aubergine, elle « préfère grignoter des baleines »… et cela nous oblige à reconsidérer la page de gauche : on n’avait perçu que des alignements botaniques. En reconsidérant la page, on aperçoit des transformations subtiles. Cette aubergine, un peu fendue, a bien le sourire d’une baleine. La belle couronne de cet artichaut coiffe l’enfant que prétend manger tout cru notre chenille. Gaëtan Dorémus organise la lecture entre texte et images, balade son lecteur et nous amuse. Au fil des protestations et du festin, la chenille incorpore les couleurs des légumes et de toute grise et translucide qu’elle était à la première page, elle devient multicolore avant de se transformer en papillon. Est-ce pour prolonger sa vie que le papillon se veut chenille, ou bien n’est-on jamais content de son sort ?

Toute l’habileté de l’auteur tient aux pistes qu’il offre. On peut lire cet album comme un imagier des couleurs et des légumes, on peut le lire comme un conte, voire comme une fable : l’abominable chenille deviendra un magnifique papillon, l’enfant terrible deviendra un adulte accompli… On peut le lire comme un livre-jeu : trouver l’animal décrit par la chenille, etc. A chacun de trouver sa voie parmi les possibles offerts par l’art consommé de son auteur, futile ou sérieux, une belle démonstration de savoir-faire et de va-et-vient entre lecteur et auteur : une entrée en lecture et en littérature. Un album qui brouille les lignes.