Paroles de sourds

Les éditions Delcourt, associées avec l’association BD Boum qui organise le Festival de bande dessinée de Blois, ont déjà publié trois autres recueils de témoignages, scénarisés par Eric Corbeyran, scénariste confirmé et prolifique. Il s’agit de Paroles de parloirs ; Paroles de taule et Paroles de parloirs.

Ce nouveau recueil donne la parole aux personnages malentendantes, et à des entendants aussi, souvent proches des sourds, à travers 21 témoignages mis en images par 21 dessinateurs différents, dans de courts récits en noirs et blancs.

Le recueil s’ouvre sur le témoignage très touchant de Pierre Christin, scénariste, romancier, essayiste très talentueux (la série Valérian, dessinée par son ami Jean-Claude Mézières, ou les albums dessinés par Enki Bilal : Les phalanges de l’or noir, Partie de chasse … pour ne citer que ses travaux les plus connus). Il raconte le handicap dont il souffre depuis l’enfance, qui s’est aggravé et qui, peut-être a contribué à le faire se tourner vers l’écriture. Il dit aussi comment, malgré cela, il a avancé et trouvé les ressources pour créer, voyager, rencontrer et partager avec les autres. Chaque témoignage est introduit par un traducteur en langue des signes qui, en deux en trois dessins, signe le titre du témoignage.

Il est question des frayeurs nocturnes d’un petit garçon entendant ; de la manière dont un enfant entendant communique avec ses parents sourds ; de l’énergie qu’un enfant sourd peut mettre pour apprendre à chanter ; de comment un sourd et un entendant « entendent » le téléphone, regardent un film, savent qu’un visiteur sonne ou communiquent sous l’eau ; des raisons qui ont poussé un jeune sourd à créer une section pour sourds au sein de l’association Aids (qui lutte contre le sida) parce que rien n’avait été pensé pour eux dans le domaine de la prévention ; de la difficulté pour une enfant élevée dans une famille de sourds à se situer entre deux cultures ; de pouvoir jouer au foot quand on n’entend pas se qui ce dit sur le terrain ; des relations parfois difficiles au sein d’un vieux couple dont chacun devient dur d’oreilles ; de la sensation pénible d’être un instrument lorsque l’on est une petite fille entendante dans une famille de sourds ; de ce à quoi on est plus sensible lorsque l’on est un acteur ou un danseur sourd ; de la difficulté parfois à être un traducteur de la langue des signes et qu’il ne faut pas en dire plus que ce que la personne que l’on traduit veut dire ou qu’il faut toujours veiller à s’effacer et à ne pas parler à la place de l’autre ; de la patience dont il faut faire preuve en tant que psychologue pour approcher et apprivoiser une enfant.

Tous ces témoignages sont intéressants, bouleversants, drôles parfois et certaines situations, finement racontées, montrent les avantages qu’il y a parfois à ne s’exprimer qu’en langue des signes … A la lecture du recueil, on n’éprouve pas de pitié ni de compassion pour les gens dont il est question mais un profond respect et un sentiment de familiarité avec eux parce qu’on touche là à tout ce qui fait la vie. L’album montre aussi encore une fois quelle peut être la puissance et l’intérêt de la bande dessinée !

Les dessinateurs qui transmettent ces belles paroles de sourds : David de Thuin ; Richard Guérineau ; Régis Lejonc ; Karo ; Jean-Luc Cornette ; Laurent Verlaine ; Huyna ; Laurent Verron ; Tronchet ; Olivier Berlion ; Amaury Bouillez ; Edith ; Thierry Murat ; Etienne Davodeau ; Aris – Marc Moreno ; Riff Reb’s ; Manu Larcenet.

La France compte 4 millions de personnes sourdes et 800 000 qui parlent le langage des signes.