Sur la route de Blue Earth

Hattie aime les chevaux. Trop. Au point de ne pas supporter que Speed, un vieux cheval de manège pour enfants, soit destiné à l'euthanasie. Accompagnée de sa fantasque amie Dolorès, elle décide d'emmener Speed vers les grandes plaines de l'ouest, afin qu'il retrouve la liberté parmi un troupeau sauvage. Les deux amies ne sont pas dupes : le cheval peut ne pas survivre au voyage en van, et elles ne partent pas que pour les beaux yeux de cet adorable animal. L'une et l'autre insatisfaites de leur famille, elles espèrent respirer une autonomie, un goût de la vie qu'elles ne trouvent plus dans leur quotidien.

Dans le bouleversant Le garçon qui rêvait de requins Joseph Monninger avait déjà exploré la vie en sursis et son rapport intense avec la nature, dure mais pure. Les thématiques ici exploitées – celle, plaisante, du cheval, et celle, adolescente, d'une cavale à la Thelma et Louise – pouvaient virer aux clichés. Or l'auteur sait nicher une hyper-sensibilité dans les détails, et surtout dans ce qui n'est pas dit. Le lecteur ainsi piégé, intrigué, se laisse porter par son imagination et les suggestions du texte délicat.
Feu-follets amatrices de guimauves grillées et de jolis garçons, les deux jeunes filles ont également en elles une mélancolie lucide étonnante pour leur âge, au moins égale à celle de Speed le cheval passif, un peu absent. L'émotion affleure jusqu'à la dernière page, dans un souffle retenu et pudique. Et le lecteur ressent fortement l'équilibre miraculeux de ce road-trip et de ses drôles de rencontres. La vie passe avec ses hauts et ses heurts, mais nous avons toujours droit au bonheur... Un beau roman qui confirme la veine du précédent.