Une nuit

Dans une ambiance sombre, où les rayons du soleil cèdent le pas à la nuit, un jeune garçon tente de s’endormir. Dans sa chambre, il reconnaît tous les bruits, le vent qui souffle, les loirs du grenier. Pourtant cette nuit-là, il entend nettement des pas inconnus. Ils viennent du grenier. Grégoire Solotareff pose le décor, l’isolement, l’obscurité, la solitude ; Julien De Man le dessine : un arbre tordu dans un ciel embrasé, une poignée de porte énorme et une clé inquiétante qui focalise le regard… Tout est prêt pour une angoisse délicieuse.

La peur affrontée, la porte poussée, le héros découvre sous le toit un appel de la forêt et une maison, refuge de ses jouets anciens, compagnons d’aventure et amis des vieux jours. Tous lui parlent encore, racontent la vie d’avant. Groupés autour de Melchior, cet étrange personnage, lutin à grosses lunettes, le lecteur est un instant inquiet : est-il bienveillant ou pas ?

La question est résolue lorsqu’apparaît la vraie méchante, la sorcière Abigaël, qui tente de séduire l’enfant et les jouets par de superbes pâtisseries rassemblées sur une table que l’illustrateur laisse à notre convoitise.

L’austérité de l’ambiance est contrebalancée par l’exubérance des formes et des couleurs. La matière épaisse de l’illustration exprime la chaleur des retrouvailles dans les regards des jouets et du garçonnet vibrant de tendresse.

Sur le thème classique des jouets qui prennent vie, Grégoire Solotareff transmet à son héros, plongé dans une enfance préservée, quelques réflexions sur l’écriture. Comment construire une histoire ? Dans le dialogue entre l’obscur et le solaire, la tradition des contes et le réel de la vie intime se font écho, à la limite du conscient et du rêve. Une brillante démonstration.