Gros boudeur

Isolé sur sa banquise, tout juste accompagné de son ourson rose, Léon le pingouin « fait du boudin ». Il représente à lui seul, avec les traits hâtifs et nerveux noirs qui encadrent son petit visage blanc, toute la tristesse du monde. Trois copains, par trois fois, vont tenter de le dérider. Ils abordent l’île où s’enferme Léon, en lui donnant une excuse possible. Si Léon boude, c’est qu’il a froid, qu’il est malade ou qu’il a faim. Et pour séduire Léon qui, avec cette excuse, pourrait sauver la face, chaque pingouin se fend d’un cadeau. Manu lui donne son chapeau, Simon une écharpe et Léa son goûter. Léon ne refuse aucun des dons… Mais, sous le chapeau de Manu, réchauffé par l’écharpe ou réconforté par le goûter, rien n’y fait.

Les dialogues d’une grande simplicité sont bien écrits pour des petits, à la bonne distance. Un peu de familiarité (faire du boudin, rigolo, avoir la tête à l’envers) minimise cette attitude que résument les trois amis : « T’es pas drôle, Léon ! » Le texte dessine, ainsi que l’illustration, une comédie familière à bien des enfants. Tout est juste, les tentatives de réconciliation, l’obstination incompréhensible. Lorsqu’arrive Maman Pingouin, la vérité éclate : « Tu as de la chance, Léon. Tu vas être un grand frère ! »

On admire ainsi la construction dramatique de cette intrigue : une lente montée des antagonismes, une rupture et un dénouement heureux qui donne aux enfants une clé de compréhension de la situation. Emile Jadoul excelle dans cette mise en scène de la vie des tout-petits. L’opposition de Petit Pingouin / Grand Frère est délicatement orchestrée aussi bien dans l’illustration qui a de l’épaisseur, de la présence, malgré son minimalisme, que dans le texte plein d’humour. Un album délicat pour dédramatiser des situations de vie, libérer la parole et mettre en lumière des relations humaines, entre copains ou familiales, très fines.