Les mots bleus de Félicie

Félicie, sa petite sœur Frannie Jo, la chienne Biscuit et leur mère, indécrottable dévoreuse de bitume, arrivent chez leur tante Cléo à Midnight Gulch, Tennessee. La petite ville est connue pour avoir été autrefois un haut lieu de la magie, eu égard notamment aux frères Loqueteux, deux musiciens dont le duel est censé avoir eu raison de toute aura surnaturelle aux environs. Aujourd'hui, Midnight Gulch est surtout réputée pour ses glaces du Dr Zook, dont les nombreux parfums possèdent encore quelques propriétés mystérieuses.

Tout de suite, Félicie se sent chez elle et craint que sa mère ne veuille repartir. Elle s'inscrit à un concours de talents à l'école. Collectionneuse de mots qu'elle voit voleter autour des gens (un joli don), Félicie se donne pour objectif de parvenir à les mettre en poème, et surtout les lire à voix haute. Son ami Jonas, dont le fauteuil roulant n'enlève rien à son enthousiasme, va l'aider. Après tout, c'est lui le « bidole » de la ville, l'anonyme bienfaiteur ès petites choses du quotidien qui a remplacé le directeur de la fabrique de glaces dans cette tâche.

Ra-vi-sse-ment. Ce pourrait être un des mots collectés par la narratrice Félicie, et c'est l'effet que procure ce roman « étourdiffant », « munificent ». A la croisée de Charlie et la chocolaterie et de Little Miss Sunshine, Les mots bleus de Félicie se place à hauteur de fillette et raconte un quotidien enchanté qui n'exclut cependant pas l'angoisse, les contrariétés, les interrogations. Le surnaturel se mêle habilement aux réalités prosaïques (divorce, chômage...) mais Midnight Gulch, protégé par son bidole, finit par constituer une enclave de bonne volonté. Tout le monde s'y connaît, s'entraide dans une bonne humeur juste piquetée de mélancolie.

La tendre Félicie et la fragile Frannie Jo se glissent évidemment dans cet univers avec la facilité de petits êtres à la recherche non d'amour - mama est une originale pleine d'affection - mais de la stabilité d'une grande famille. Outre les petits détails de l'environnement et de la nature qui font sonner juste le récit, quantité de minuscules histoires de vie sont récoltées par l'attentive Félicie, composant un monde peut-être idéal, peut-être naïf, mais drôlement chouette. Au jour le jour et entre deux orages, sur une écriture charmante de naturel, nous suivons encore l'enquête à propos des frères Loqueteux, et puis les mots qui roulent dans la tête de l'héroïne, choisis avec une pertinence toute synesthésique par l'auteure. Rafraîchissant, le roman n'en est pas moins profond, réfléchissant sur le sens de l'existence et du temps qui passe : pensons au parfum Aurore de mûre qui réveille les souvenirs. A goûter et à adopter.

« Orage ou pas, la lumière baissait rapidement dans la bibliothèque d'Oliver, ce qui signifiait que le soleil s'enfonçait derrière les montagnes pour la nuit. Le soleil presque couché et bordé, les oiseaux achevant leur journée de chants et les grillons accordant leurs pattes pour leur symphonie du crépuscule – tout cela signifiait que j'avais intérêt à rentrer vite à la maison ou bien j'aurais un paquet d'ennuis. » (p. 111)