Ravie

Blanquette la chèvre arrive chez Monsieur Seguin où elle sera bien, c’est lui qui le dit. Certes, il y a une longe pour la retenir… Comme Le loup et le chien de La Fontaine, Sandrine Roche écrit une fable sur la liberté. Blanquette est la septième chèvre, l’ultime. A partir de ce texte et de ce thème très connus, en toute liberté, l’auteure ironise sur le texte de Daudet. Le portrait de Blanquette paraphrase le célèbre « qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants ! Un amour de petite chèvre… ». Monsieur Seguin, fidèle à lui-même, maintient sa chèvre dans l’esclavage pour son bien. Dans un premier temps, il convainc Blanquette qui n’a guère envie de céder au chœur des six précédentes chèvres. Puis, peu à peu, Blanquette s’ennuie et face à ce vide existentiel ne reste que la liberté.

La force d’écriture de Sandrine Roche réside dans le rythme qu’elle parvient à donner à cette histoire. Entre gouaille moqueuse et tendresse, Monsieur Seguin use d’un langage bêtifiant comme celui qu’on utilise avec les animaux de compagnie. Le cercle des chèvres disparues titille Blanquette qui n’est pas très convaincue. Elles se moquent d’elles-mêmes et évoquent leurs combats perdus avec gloire (la Renaude, Toggenburg dite Rosa) ou sans gloire (la grassouillette Kiko), superbe invention de l’auteure qui sait parler des filles (voir Neuf petites filles). L’alternance des voix, une scène avec Seguin, une scène avec les chèvres crée une tension dramatique extrême. Il n’y a pas de miracle. Le tragique de la situation, sa violence, est mise à distance par l’humour du langage qui emprunte à l’italien, à l’espagnol, toutes sortes de diminutifs, jeux de mots, comme une révérence ironique à la Provence de Daudet. Entre tradition et nouveauté, Sandrine Roche offre aux spectateurs une bien belle pièce à double tranchant : Ravie, Blanquette l’est. Heureuse et captivée / capturée, elle tombe des mains de Seguin à la gueule du loup...