Petit à petit

« Quelque part, quelque chose arriva, alors ». A l’origine de cet album, un olivier enraciné dans un sol sec, uni. Deux fourmis minuscules avancent. Elles avancent vers un long trait oblique, épais, solide. Une planche de salut en fait, où vont s’engager à leur suite, deux escargots, deux scorpions, deux caméléons. En même temps que l’avancée des animaux sur le plan incliné, une ligne grise horizontale monte, monte dans la page. Déjà on ne voit plus les pattes des hérissons, des kiwis, des lapins. Petit à petit, Emilie Vast installe son sujet. Dans un grand calme, avec ordre et détermination, nous assistons à la montée des animaux dans l’arche de Noé. Le texte renforce cette énergie assurée des animaux « avance je te suis », le pas s’accélère un peu, rythmé par la répétition « en rang deux par deux », ou « pas à pas », rythmé aussi par quelques effets de rimes. Petit à petit, la ligne grise dépasse la ligne beige. L’eau submerge le sol. Un tiers de page, à demi-page, au trois-quarts de page, seuls les plus gros animaux peuvent encore grimper. Dromadaires, éléphants, girafes se retrouvent dans le « grand bateau plein de vie ».

Toute l’élégance et l’intelligence de l’auteur-illustratrice est de mêler cet épisode biblique aux réalités et soucis contemporains. Avec discrétion et sans moralisme, les animaux disent « il paraît que ça fond là-bas », « ils auraient dû faire plus attention, c’est sûr ! ». Deux phrases suffisent et le lecteur passe de la Bible au réchauffement climatique et au regard informé des animaux sur les hommes. Le style reconnaissable d’Emilie Vast, son parti pris esthétique de dessin à l’ordinateur sert au mieux son propos. Un récit minimaliste servi par une technique très maîtrisée et l’histoire des hommes surgit. A mettre entre toutes les mains, pour le plaisir, l’émotion ou la réflexion.