Proie idéale

Au sein d'un foyer parisien pour adolescents, Morgane disparaît. Les éducateurs pensent à une fugue, la police enquête mollement. Mais ses deux amies, Camille et Ljuba, sont davantage inquiètes : on n'a plus retrouvé Morgane juste après un rendez-vous qu'elle avait annoncé avoir avec un photographe de mode. Les jeunes filles vont enquêter de leur côté ; elles mettent à jour un trafic de prostituées dirigé depuis les pays de l'Est. Ljuba décide alors, à ses risques et périls de se faire passer pour une de leurs proies. Heureusement, le réseau est parallèlement surveillé par les institutions...

C'est un roman d'un réalisme sans fards, cruel et sordide, et que ne rattrape même pas sa fin ouverte : on arrête un chef, la mafia renaît ailleurs... Charlotte Bousquet, en une écriture rapide et froide, fait presque acte de documentaire. Presque, parce que le lecteur adopte vite la turbulente et compliquée Ljuba, Rom au passé douloureux, et qu'il suit sa délicate adolescence avec une émotion très personnelle.
Le narrateur externe s'attache principalement aux pas de la jeune fille – Camille est relativement en retrait -, à sa fureur contre la France et les français aussi, dont les causes exactes gardent un parfum de mystère assez terrible. En alternance, de courts flashs-souvenirs rappellent le déroulé implacable du sort réservé à Morgane, figure un peu anonyme, pourtant pas si faible (et c'est bien le plus angoissant). Le rythme est tendu, curieusement sans à-coups vers la résolution dramatique.
En quelques centaines de pages alertes, au contenu difficile parce que très plausible, ce roman brasse quantité de sujets de société : l'immigration, les dangers d'Internet, les illusions du monde de la mode et de la célébrité, la marchandisation des corps, les mafias... Il n'est pas question de superficialité tant l'ensemble se tient, s'enchaîne avec cohérence, et ces thématiques peuvent effectivement toutes concerner les adolescents, cibles faciles que les adultes peinent à savoir protéger. Néanmoins, l'auteure n'oublie jamais que la jeunesse, c'est aussi l'espoir... Avec des dernières pages plutôt étonnantes, le constat ne reste pas d'impuissance, simplement de fourmi qui attaque sans relâche son adversaire invisible.