Miss Peregrine et les enfants particuliers

D’emblée, la première de couverture de ce gros roman traduit de l’américain, intrigue et interpelle : qui est donc cette petite fille endimanchée, à la robe surannée, dont le visage sérieux est presque celui d’une adulte ? Elle se tient très droite et ses pieds ne touchent pas le sol.


En ouvrant le livre très largement illustré de (vieilles ?) photographies en noir en blanc un peu passées, d’autres questions se posent : Ransom Riggs, qui a fait des études de cinéma, est-il parti de ces photographies - qu’il dit être toutes « authentiques et anciennes » dans la postface- pour écrire son roman ou bien a-t-il illustré son texte ENSUITE, en puisant dans les archives de collectionneurs privés ?


C’est dire que tout de suite, l’on est accroché et que l’on plonge rapidement dans cette histoire passionnante et singulière.


Le fil conducteur du récit, c’est le lien très fort qui unit un vieil homme, Abraham Portman, et son petit-fils Jacob, 16 ans. La famille, aisée, vit en Floride. Durant toute son enfance, Jacob a écouté les histoires passionnantes que lui racontait son Grandpa. Car cet homme a eu plusieurs vies. Juif polonais, il a fui son pays natal pour échapper aux persécutions nazies et s’est réfugié très jeune sur une île au large du Pays de Galles. Puis il a émigré aux Etats-Unis et y a fondé une famille. Mais régulièrement, Abraham Portman disparaissait pour des temps plus ou moins longs, sans donner d’explications. Une aura de mystère entoure donc le vieil homme qui meurt dans des circonstances étranges sous les yeux de Jacob. Pour apaiser les cauchemars qui le hantent, Jacob, accompagné de son père, part donc pour l’île de son grand-père, muni d’une vieille lettre signée « Peregrine Faucon ». Il veut savoir ce qui s’est passé là-bas. Il veut retrouver l’orphelinat où son grand-père a vécu des jours heureux, en compagnie d’enfants « particuliers », disait-il, c’est-à-dire doués de capacités hors du commun.


L’île est minuscule, sauvage, et ses habitants ne sont guère bavards. Lors de ses explorations, Jabob trouve l’orphelinat en ruines et désert. Le temps et la guerre sont passés par là. Pourtant, Jacob ne sent pas seul. Il perçoit des présences autour de lui. Il trouve des photographies semblables à celles de son grand-père, celles de ces enfants particuliers dont il lui parlait toujours. Jacob a la conviction à présent que Grandpa ne délirait pas, ne mentait pas. Un tunnel traversé va lui permettre de trouver une boucle temporelle. Nous sommes le 3 septembre 1940. La maison est magnifique et accueillante. Miss Peregrine et ses « enfants » l’y attendent.


Voici un magnifique roman, au souffle puissant, que l’on ne peut lâcher tant il est intriguant. Mêlant le présent et le passé, le quotidien et le fantastique, l’intime et l’Histoire, jouant avec le paradoxe temporel, Ransom Riggs crée un jeune narrateur très dense, porté et hanté par son histoire familiale, à la recherche de la vérité de ses origines. L’orphelinat et l’île sur laquelle il est caché sont des personnages à part entière, à l’identité très marquée. Les gens qu’ils abritent sont dotés eux aussi de personnalités très fortes. Mais leur différence est à la fois leur force et leur faiblesse car ils sont traqués. Par là-même, le roman prend une autre dimension et engage une réflexion sur le nazisme, sur les persécutions des Juifs, sur la stigmatisation de la différence et, enfin, sur l’immortalité.


Un roman que l’on n’oublie pas. La fin, ouverte, laisse présager d’une suite. Alors, un peu de patience…