Les fils de l'ogre

Fred et son petit frère Max vivent avec leur mère soumise et leur père tyrannique, violent, alcoolique. Ils craignent les raclées pour un oui ou pour un non et essaient de passer le plus clair de leur temps hors de la maison. Fred est particulièrement la cible des lubies du père. Puis les petits grandissent. Après une phase hésitante où on pense les voir suivre le modèle du père, ils reconstruisent une vie plus tranquille en compagnie de leur mère. Max prend un ascendant sur Fred qui se laisse aller. Le père finit par réapparaître, clochard essoufflé qu’on aide du bout des doigts. Mais, alcoolisme ou pas, Fred et Max ne parviennent pas à casser un cercle vicieux de violence – physique ou psychologique – et agissent comme s’ils suivaient un chemin de désespoir tracé depuis le plus jeune âge.
Les douze nouvelles, douze petites histoires closes axées chacune sur un moment de vie particulier, composent autant de scène d’un même mouvement dramatique. Eclairant le passé du père, mettant l’accent sur la détresse des enfants et de la mère, elles s’enchaînent dans une sorte de déterminisme à la Zola. Même si Fred et Max ne font pas beaucoup d’efforts pour se sortir de leur situation sociale désastreuse, même si le caractère hors normes de cette dernière leur échappe peut-être, tout se déroule comme s’ils n’avaient de toute façon aucune chance de parvenir à une stabilité. Leur éducation a brisé leur innocence et les a formatés pour la brutalité et l’ignorance. Les pouvoirs publics (école, assistance sociale) sont curieusement absents face à cette maltraitance avérée. En phrases courtes et neutres d’un narrateur très externe, le recueil est infiniment cruel, avec une fin choquante mais au fond compréhensible. Tout au plus un espoir de « rédemption » pointe-t-il son nez dans les dernières pages, et encore l’interprète-t-on comme on le souhaite. Derrière cette froideur exprimée, Mathis pose malgré tout un regard compatissant sur ses deux héros, n’accusant ni eux ni leur père – que l’on comprend en souffrance personnelle -, mais… la fatalité ? Cette position ne laisse pas de poser des questions passionnantes sur nous-mêmes…