Le chêne de la truie qui file

Granbenêt est « l’idiot » du village. C’est du moins ce qu’en pensent les villageois qui se moquent de lui en l’envoyant accomplir des missions toutes plus abracadabrantes les unes que les autres : rapporter le fer à repasser les rides de l’étang ; la brosse à défriser les moutons sous le lit… Serviable, Granbenêt souffre de ne pouvoir réussir de telles missions. Un jour, un énigmatique vieillard « qui a perdu son âge » demande « une armure de soie de la truie qui file ». Voilà une tâche pour Granbenêt disent les moqueurs. Aussitôt il se met en route…
Dans cet album s’exerce le talent de conteur de Philippe Barbeau. Grâce au double jeu de la distance « en ce temps-là » et de la proximité liée aux noms passe-partout « Saint Laurent », « le vieux chêne », l’auteur installe tout un univers populaire. Grâce au nom transparent du héros, il nous transporte dans la malignité de cette communauté rurale. Il maîtrise malicieusement l’antiphrase et d’un coup le personnage se construit : « Granbenêt aussi gentil qu’il était bête et il était très, très, très …gentil ».
Efficacité stylistique et rigueur de la structure : trois embûches, trois magies, trois petits tours et puis s’en vont… L’affaire est rondement menée devant les yeux ébahis des villageois. Car au style alerte du conte populaire, s’ajoute l’habileté et l’humour de l’illustratrice qui croque les personnages dans un style proche de la caricature, trognes rigolardes et ridicules. Elle multiplie les points de vue, distille les éléments surprenants. Ainsi, le vieillard masqué cohabite avec un vautour, de sorte que texte et images impriment, chez le lecteur, l’amusement et l’étonnement. Drôle à tout âge… Une réussite.