Marre de l'amour

A la sortie de l’école, Pierrot regarde ses copains s’en aller : d’abord, il y a Dorothy qui part avec sa baby-sitter – elle habite chez son père et voit sa mère à New-York pendant les vacances – , ensuite voici Tom à qui sa maman achète des tas de chewing-gums depuis que son papa n’est plus là, puis enfin, c’est au tour de Lou-Marie qui ne sait jamais qui viendra la chercher parce qu’elle vit chez son père les semaines paires et qu’il change régulièrement de compagne. Pour les autres aussi, il n’y a chaque fois qu’un seul parent derrière la grille. Mais voilà qu’arrivent ceux de Pierrot : « pour les reconnaître, c’est facile, ce sont les seuls qui viennent à deux […] et qui se regardent en souriant au lieu de [lui] faire signe». C’est pareil toute la journée, ils se murmurent des mots doux à l’oreille, roucoulent comme des oiseaux au printemps et passent leur dimanche au lit. Pierrot en a tellement « marre de l’amour » qu’il en arrive à envier « ceux qui ont la chance d’avoir des parents qui ne s’aiment plus » ! Ainsi, aidé par ses amis, il se donne pour objectif de « faire divorcer ses parents ». Dorothy, Tom et Lou-Marie, très expérimentés sur la question, y vont alors chacun de leurs conseils pour engendrer une séparation : « il faut qu’ils s’engueulent pour rien du tout » (les miettes sur la table par exemple), ou que le père de Pierrot tombe amoureux d’une autre femme. Seulement sa maman, elle « s’en fout quand il y a des miettes sur la table, elle les ramasse et elle les pose sur le rebord de la fenêtre pour les oiseaux ». Quant à son papa, il n’a d’yeux – de merlan frit – que pour son épouse. Mon pauvre, murmure Lou, ça ne va pas être facile…

Pétillant, farfelu et déjanté, ce petit roman renverse nos conventions. Si les enfants de couples unis deviennent certes des exceptions dans la société moderne, il est plutôt déroutant de les imaginer se plaindre de leur situation… Et pourtant, leur perception de l’amour démonstratif des adultes et de leurs sentiments dégoulinants peut être rebutante, alors qu’une garde alternée présente ses avantages. N’allez toutefois pas penser que l’auteure dresse un éloge du divorce, bien au contraire ! Avec malice, elle dit plutôt combien les enfants sont lucides quant aux tensions de leurs parents et comment ils parviennent à jouer de leurs ruses pour les pousser à bout. L’anecdote de l’ « enfant gâté » - une crise qui, à tous les coups, énerve les parents jusqu’à la dispute – est particulièrement parlante ! Malgré tout, à trop envier la situation de ses amis, Pierrot finira par douter de son entreprise… Antithèse, thèse et synthèse : tout y est pour une vision de la séparation originale et nuancée.