Des Baisers pour plus tard

George, dit Orge, est né en Allemagne. Indépendant, débrouillard et un peu bagarreur, Orge exerce les métiers les plus variés, devient riche, perd tout… L’arrivée au pouvoir d’Hitler mène en prison cet amoureux de la liberté, de surcroît juif. Il réussit à passer en Tchécoslovaquie où il tombe amoureux de la jeune Praguoise Annie. La guerre approche, Orge passe en Pologne. Annie, qui a refusé de partir pour s’occuper de ses parents, lui procure alors un passeport pour la Suède. Annie sauve Orge ; elle mourra dans un camp de concentration.

Rose Lagercrantz articule le récit de la vie mi-rocambolesque mi-tragique de son propre père autour d’une rencontre brève mais décisive, celle d’Annie, jeune femme timide dont il ne reste aujourd’hui qu’un nom dans une synagogue. L’histoire déjà captivante en soi prend une dimension littéraire tout à fait intéressante par le choix de ce mode de narration : qui est le personnage principal ? Qui est le vrai héros de la guerre ? Combien d’Annie se sont sacrifiées durant cette période noire ? Rose Lagercrantz invite le lecteur à une réflexion sur l’arbitraire du destin et la notion de courage. Usant d’ellipses, d’un narrateur externe qui introduit une distance par rapport à des êtres qui subissent sans savoir (« Cela, Orge ne le savait pas encore, mais il le soupçonnait […] », p. 101), l’auteur se refuse à tout pathos, préférant les faits qui s’enchaînent et la vie qui continue malgré tout : « Mais ne nous laissons pas aller à trop parler de cette triste époque. » (p. 76). Récit de souvenirs, à la frontière du témoignage et du roman, Des Baisers pour plus tard offre une manière renouvelée, originale et délicate, de parler des victimes de la Seconde Guerre mondiale.