Un tout petit coeur

Voici un monde bien étrange, mais peut-être tellement vrai. Un monde du temps qui passe, de la vieillesse et de la mort. Si ce court roman a un peu de mal à démarrer, Anne-Marie Garat, de manière subtile, nous dévoile après coup un monde clos, une espèce de misère morale où fin de vie, ridicule et ennui s’entremêlent. L’auteur nous fait partager la vie de Angèle, que l’on nomme Gélina. Ici, pas de description de lieu ni de paysage. Seulement un va-et-vient entre des endroits et des perceptions comme pour mieux décrire toute l’étroitesse du monde de la vieille dame : d’abord sa voisine, Irène, retraitée de la poste (avec sa télévision, son jardin et sa nouvelle porte), l’église (et le chemin que les deux femmes empruntent tous les dimanches) et la ferme (la chambre, la cuisine, la chaise, l’image de Gaston, le mari disparu de Gélina). Dans ce monde clos, pas d’échappatoire, uniquement quelques « petites histoires », comme pour se dire que l’on est encore en vie : un « petit cœur », cette « maladie » sourde et sournoise qui ne lache pas Gélina ; la jalousie des voisines qui s’épient, se scrutent et se maudissent (car il faut bien vivre côte à côte). Et puis cette vie qui un jour se précipite : l’achat d’un téléphone, une facture trop lourde, l’envie de louer les deux pièces de la « maison de la folle ». Bientôt, pour Gélina, c’est le trouble et la confusion : ces voisins, morveux et bruyants, qui ne respectent pas cette vie si bien rangée, l’eau du puits qui s’épuise, ces paroles qui fusent et passent à travers les murs. L’atmosphère au fil des pages devient plus lourde et plus pesante, jusqu’à l’acte final : déstester les pauvres et rejoindre Gaston dans le cadre de la fenêtre, dans cette « vraie vie » qui serait un ailleurs. Anne-Marie Garat a réussit un beau texte, nourri de détails et de silences. Certainement un talent confirmer.