Janine Despinette
Critique littéraire et recherche : la littérature de jeunesse, la littérature en couleurs et les interactivités internes et externes du livre.
1000 critiques hebdomadaires dans Loisirs Jeunes, 350 critiques de presse dans des quotidiens de Lyon et agence A.I.G.L.E.S. et autres 39 journaux francophones. Collaborations à des revues littéraires et universitaires en France et dans le monde. Travaux sur la presse de jeunesse et les productions éditoriales "jeunesse".
Jurys littéraires
Participation à des jurys de sélection de prix littéraires et graphiques en France et à l'étranger.
Depuis 1962 expert du Prix Européen de l'Université de Padoue - Présidence du Prix Graphique Loisirs Jeunes (1970-1986) - Membre élu du jury du prix international H.C. Andersen (1980 et 1982) - Membre élu du jury Pier Paolo Vergerio, Université de Padoue, 1985-7-8, 1992 - Membre élu du jury de la BIIB de Barcelone (1986-1988) - Fondatrice des Octogonales du C.I.E.L.J. (Les Octogones "labels") en 1989 -
Critique littéraire et recherche : la littérature de jeunesse, la littérature en couleurs et les interactivités internes et externes du livre.
1000 critiques hebdomadaires dans Loisirs Jeunes, 350 critiques de presse dans des quotidiens de Lyon et agence A.I.G.L.E.S. et autres 39 journaux francophones. Collaborations à des revues littéraires et universitaires en France et dans le monde. Travaux sur la presse de jeunesse et les productions éditoriales "jeunesse".
Jurys littéraires
Participation à des jurys de sélection de prix littéraires et graphiques en France et à l'étranger.
Depuis 1962 expert du Prix Européen de l'Université de Padoue - Présidence du Prix Graphique Loisirs Jeunes (1970-1986) - Membre élu du jury du prix international H.C. Andersen (1980 et 1982) - Membre élu du jury Pier Paolo Vergerio, Université de Padoue, 1985-7-8, 1992 - Membre élu du jury de la BIIB de Barcelone (1986-1988) - Fondatrice des Octogonales du C.I.E.L.J. (Les Octogones "labels") en 1989 - Membre du jury du prix polonais Korschak, 1989 - Présidence du Grand Prix du Livre de Jeunesse du Ministère de la Jeunesse et des Sports (1989) - Membre élu du jury du prix international de la B.I.B. - Bratislava (1981-3-5-7). Présidente de ce jury en 1989 - Jury de La Plume d'Or de Belgrade (1990)
Extraits, articles à consulter
Dans L'Octogonal :
"Les héros de la littérature juvénile en Europe : le Petit Prince"
"Critiques et prix littéraires jeunesse"
Dans le Séminaire :
"Alice In Wonderland. Un personnage mythique et ses illustrateurs"
Le 4 juillet 1862, un professeur de l'Université d'Oxford, Charles Dodgson, raconte une histoire tout en ramant à trois petites filles à qui il fait faire une promenade en barque sur la rivière Isis à quelques encablures du Collège où ils habitent tous.
En 1865 il publie cette histoire à compte d'auteur sous le pseudonyme de Lewis Carroll et sous le titre : Alice in Wonderland. Avec ce seul livre "pour enfants" il va devenir un auteur mondialement connu... des adultes.
Histoire d'une oeuvre
L'histoire d'une oeuvre littéraire est souvent intéressante. Celle d'Alice est même passionnante à suivre particulièrement à travers ses illustrations et ses illustrateurs. Alice "petite histoire moralisante" inventée et publiée au 19e siècle pour un public de petites filles anglaises par un Oxfordien, honorable bien qu'encore jeune professeur de mathématiques... oeuvre qui fait de page en page référence pour ces petites filles à d'autres livres de leur littérature enfantine britannique, avec des personnages empruntés aux nursery rhymes et des chansons sur les airs à la mode sous le règne de la reine Victoria .... récit dont les péripéties ont été inventées en improvisation orale à partir d'enchaînements provoqués par une utilisation malicieuse de "mots à tiroirs", de "mots portemanteaux", de mots à double sens spécifiquement anglais et même britannique... Alice se retrouve, cent ans après, l'une des oeuvres littéraires qui a séduit le plus de gens d'images qu'ils soient illustrateurs, peintres ou cinéastes et qui a inspiré les interprétations imagées les plus diverses à des artistes appartenant à des écoles d'art fort différentes. Traduite en plus de cinquante langues (dont le braille, le coréen, l'espéranto, l'hindi, le lithuanien, le swahili. et le thaï pour citer les moins courantes) elle a été illustrée par au moins deux cent cinquante artistes jusqu'à ce jour.
Interprétations graphiques
- Il y a d'abord les anglophones : de John Tenniel, l'illustrateur de la première édition de Mac Millan à Anthony Browne pour la dernière venue chez Walkers (London 1988).
- Puis il y a les autres : les latins, les germaniques, les slaves, les orientaux et les extrême - orientaux.
- en France : Nicole Claveloux (Grasset-Ruy-Vidal 1974) Rico Lins (Hachette livre de poche 1980)
- en Espagne Lola Anglada (Mentoza 1928 - Juventud 1971) ;
- en Suède Tove Jansson (Bonniers 1966) ;
- au Brésil Darcy Penteado (Companhia editora nacinal 1970) ;
- en Slovaquie Dusan Kallaï (Mlade Leta 1981) ;
- en Russie Kalinovsky (Detskaya literatura Moscou 1977/1980) et Maj Mituric ( Chudozestvennja Litteratura Moscou 1977), - pour donner quelques exemples significatifs.
- Quand on a eu la possibilité comme je l'ai eue en automne 1983 lors de l'exposition organisée par la B.P.I. au Centre Pompidou à Paris, d'avoir en main, ensemble toutes ces interprétations graphiques, on ne peut manquer de s'interroger sur la magie provocative d'un texte qui peut conduire à une telle multiplicité d'images d'un Personnage qui n'est après tout qu'une petite fille et à propos d'aventures qui ne sont que des rêveries d'enfance.
Analyses littéraires et regards d'artistes
L'oeuvre de Lewis Carroll a été analysée souvent dans ses aspects littéraires, ses prolongements philosophique, théologique, psychologique, sociologique par de très éminents exégètes. Les héritiers des romantiques y trouvent le culte de l'innocence enfantine et de la candeur d'âme, les scientifiques s'intéressent à la logique des mathématiques du professeur Dodgson alias Carroll, les sociologues y voient l'analyse des conflits religieux et des controverses politiques dans les milieux universitaires que l'auteur fréquentait, les psychanalystes lient les "aventures d'Alice" aux traumatismes de la naissance, et les surréalistes considèrent son parcours initiatique comme "un modèle accompli de la trajectoire des rêves..." Gilles Deleuze dans La logique du sens comme Jean Gattégno dans son introduction à sa traduction pour l'édition de la Pléiade ont ouvert la voie à une réflexion moderne sur l'influence déterminante qu'exercent les lectures d'enfance et dans le prolongement de leurs travaux nous avons vu apparaître il y a peu chez nos amis belges une revue littéraire qui ose annoncer la teneur de ses recherches par son titre même :"Alice"...
Mais nous voyons peu de travaux encore sur le secret de la fascination qu'exercent le personnage et ses aventures souterraines sur un artiste, qu'il soit au fait de la célébrité comme Salvador Dali, ou au début de sa carrière comme Dagmar Berkova, dont l'Alice fut le dossier de fin d'études aux Beaux Arts de Prague avant de devenir livre d'art recherché. Est-ce parce que les interrogations et les angoisses d'une petite fille de sept ans en quête de son identité et de sa place dans la société, trouvent toujours un écho chez un artiste dont le propre naturel est de se remettre en question à chaque nouvelle création ou est-ce parce que dans ce que dit Lewis Carroll un artiste retrouve en fait, ses propres interrogations de métier : distorsions corporelles, inversions visuelles, abolition de notion temporelles ou spatiales, télescopages d'expressions verbales provoquant de nouvelles images mentales. Tout cela est en fait un imaginaire d'homme d'image.
Lewis Carroll homme d'image
Oui, pour moi, l'analyse d'Alice se révèle passionnante à découvrir à travers le langage sensible et universel de l'IMAGE parce que le révérend Dodgson alias Lewis Carroll lui-même est d'abord et avant tout un homme d'image. Il dessine et il pratique la photographie presque quotidiennement (ses albums de photographies sont maintenant édités). C'est avec sa science de photographe tout autant que de logicien que l'auteur d'Alice a camouflé sous les jeux du non-sens le symbolisme de "cette partie inachevée de Jeu d'Echecs du rêve" et la laissant dans cet inachèvement il la laisse ouverte pour les autres, à des interprétations toujours renouvelables. A commencer par celles du PORTRAIT d'Alice.
Alice jamais décrite
Nous connaissons aujourd'hui, les dessins qui illustrent le manuscrit d'"Alice's Adventures Under Ground". qu'il offrit en cadeau de Noël à la petite fille pour laquelle il l'écrivit en 1864. Ils témoignent d'une originalité de création et d'un avant-gardisme à l'égal du thème du récit, pour l'époque. Lewis Carroll photographe portraitiste avisé, personnifie par l'image l'héroïne de son histoire. Elle sera présente par un regard interrogateur et un sourire avant même que commence le récit, mais il ne la décrira pas à ses lecteurs. Elle peut être ainsi, éternellement la même et toujours différente selon le regard porté sur elle. Lewis Carroll n'en fixera jamais le souvenir par les mots.
"Alice assise sur la berge de la rivière commençait à être fatiguée de n'avoir rien à faire. Elle avait jeté un coup d'oeil sur le livre que lisait sa soeur, mais il n'y avait dans ce livre ni images ni dialogues. Et, pensait Alice, à quoi peut bien servir un livre sans images ni dialogues. Elle était donc là, en train de réfléchir (dans la mesure du possible, car la chaleur qui régnait ce jour là, lui engourdissait un peu l'esprit) si le plaisir de tresser une guirlande de pâquerettes valait la peine de se lever pour aller les cueillir, quand soudain un lapin blanc aux yeux roses vint à passer auprès d'elle en courant...."
- Espace-IMAGE : c'est ALICE dans sa relation aux choses et aux êtres
- Espace-TEXTE : c'est le regard d'ALICE sur les choses et les êtres et sur elle-même que Lewis Carroll tente d'exprimer.
Comme avec son appareil photographique, dans la recherche illustrative de son récit il s'attache surtout à représenter son héroïne en situation :
ALICE curieuse, ALICE en pleurs, ALICE en discussion avec le lapin, la souris, le chien, la chenille, le chat, le pigeon avec les rois et reines des jeux de cartes, avec les pions de l'échiquier, ALICE dans ses métamorphoses : petite à outrance, grande à outrance. Mais toujours impliquée dans l'action ou spectatrice. Et quelle que soit la taille de l'image ou quelle que soit la place réservée dans la page à cette image, Lewis Carroll focalise l'attention du lecteur sur le regard de son héroïne, et ce regard étrangement fixé vers un ailleurs, que le lecteur ne voit pas, est si provocateur d'interrogations pour lui qu'il le reconduit au texte pour mieux lire.
Lectures d'artistes
Les artistes plus que nous, depuis cent ans, saisissent cet appel à voir au delà du "visible" et se laissent tenter pour recréer ce que Carroll ne faisait que suggérer mais que les yeux d'ALICE, c'est à dire les yeux de l'enfance, semblaient voir.
Dans Visages d'Alice, Christiane Clerc expliquait que dans son contexte où la réalité photographique et la fiction imagée étaient mêlées intimement, comparer les illustrations et les documents reflets de vie, lire les commentaires amenait: à mettre en évidence éclairante des approches culturelles et des concepts d'éducation contrastés. On peut dire qu'apparaissait aussi un extraordinaire mouvement d'appropriation et de pérennité d'une oeuvre à travers des jeux d'équivalence visuelle évoluant de génération en génération et de Pays en Pays sur un échiquier du rêve devenu planétaire. On s'apercevait vite aussi de la nécessité d'une connotation graphique liée à l'environnement géographique des lecteurs à travers les traductions et les rééditions. Il est certain que la force d'Alice se fonde sur le glissement interprétatif dans sa connotation sociologique et topographique liée au style d'un illustrateur plus qu'aux stéréotypes soi-disant universels de certains studios de cinéma.
Dans la conception visuelle et la réalisation d'"Alice's Adventures Under Ground" on sait que Lewis Carroll avait tenu à assumer la marginalité littéraire de publication pour enfants que cette production impliquait. Mais en 1996 on peut affirmer aussi qu'ainsi il ouvrait la voie à des générations d'artistes qui, forts de sa réussite spectaculaire osent développer en professionnels des arts graphiques, un type nouveau de livres où l'image prend sa place à la limite possible de synergie avec un texte.
Et dans cette confrontation des portraits d'Alice, il apparaîtra vite évident également que par ses choix, l'artiste illustrateur qui tend à une recherche graphique et scénique esthétiquement valable aux yeux des lecteurs d'une génération , co-signe l'oeuvre et en renouvelle la lecture par cette génération.
Janine Despinette