Titeuf à Genève
Je pratique cet exercice depuis des années: tenter de restituer le réel avec
le seul trait. Ma première motivation était d'abord d'échapper à l'angoisse
des voyages. Dessiner les lieux dans lesquels je me rendais me permettait
des les intégrer, de m'y sentir chez moi...d'avoir moins la trouille. Je me
suis rendu compte que cette manière de dessiner, plus réaliste, nourrissait
mon travail de bande dessinée, agrandissait mon univers graphique… comme si j'apprenais à écrire de nouveaux mots alors que jusque là, je les recopiais
dans les livres des autres. C'est devenu une nécéssité: développer mon
vocabulaire graphique.
Jusque là, je le faisais toujours lorsque j'étais en voyage et l'an dernier,
ayant une semaine de relâche, je suis allé dessiner ma ville.
Je n'aime pas particulièrement Genève (ce qui est très genevois), la notion
du patrimoine y est étrange, on restaure comme on rangerait une chambre. On
redresse, on aligne les pavés là ou la nature avait eu l'audace de les
déranger... La vieille ville ressemble à un décor, nickel, les angles des
murs ont été redressés, les fenêtres en chêne remplacées par du PVC, plus
propre, plus suisse... Heureusement pour nous, les budgets de rénovation
sont moins réactifs que la nature... J'ai dessiné la rue Jean Calvin,
renovée grand luxe. Plus rien ne laisse paraître ses cinq siècles...jusqu'au
dernier mètre de la rue. Hasard ou oubli sur le plan de renovation? Le
dernier mètre est resté tel quel, tout tordu, colonisé par la végétation...
Je suis fasciné par ce moment ou la nature reprend possession des
constructions humaines. Quand le bois semble vivre à nouveau, quand
l’érosion redonne une allure de montagne aux murs. J’aime la rouille, le
lierre, l’oxydation. J’aime quand la nature gagne.
J'ai dessiné Titeuf dans cette série pour bien montrer qu'il n'y a pas de
séparation entre ces dessins et ceux de mes bandes dessinées... Titeuf se
promène dans ce monde dessiné en expansion.
Ill. de Zep