Petits traits
GRANDS EFFETS
Voici une petite rubrique, un petit coup d’œil
sur un petit truc, un petit trait
pas plus grand qu’un tiret ,
une «dépassotte»
C’est en découvrant un dessin de Tomi Ungerer que j’ai repensé à l’importance que peut avoir un tout petit trait de rien du tout.
Traits-volume
Avant de découvrir le dessin de Tomi, commençons par mentionner à quel point le petit trait est présent en dessin, fait partie du style, tout en jouant un certain rôle.
Ainsi, chez le Bilal du début, les dessins sont caractérisés par une profusion de petits traits, qui vont le faire repérer, lui donner un style, et en même temps, bien organisés, vont rendre le volume des visages surtout et des habits. Ces traits jouent avec la lumière et remplacent les lavis qui auraient donné le volume (on pourrait évoquer aussi les points, le pointillisme qui ont été utilisés de la même façon) Les illustrateurs, les dessinateurs utilisant ce procédé sont très nombreux. Ils viennent en général du dessin en noir et blanc.
Une erreur
J’ai revu un dessin que j’avais fait il y a quelques années et qui montre très bien un défaut. Un défaut du procédé décrit précédemment. Regardez la queue d’Oscar, le petit kangourou (éditions Calligram). Vous remarquerez que si le dessin global indique qu’elle «pointe» vers l’arrière, les petits traits qui hachurent font le contraire : cachez le corps d’Oscar, la queue vous semblera venir vers l’avant.
A gauche, ce que j’ai fait et qu’il ne fallait pas faire, les traits sont mal orientés, à droite ce qu’il aurait fallu faire pour une juste orientation de la queue.
Traits-surface
J’ai noté une autre approche. Les petits traits, sans suggérer le volume, peuvent aussi avoir le rôle de donner vie à une surface. De proposer une autre manière de la représenter.
Ainsi, quelquefois, les belles et étranges images de Lionel Koeklin.
Là, les petits traits marquent plus fort le style, donnent une matière, un grain, une réalité, une planitude, une «couleur» aux surfaces traitées.
Entre les deux, je balance...
Je me souviens d’avoir vu des dessins se situant entre les deux : donner du réel (à la Bilal...) et donner de la matière, du grain, de la planitude aux surfaces (à la Koeklin...).
Au niveau de la lecture, se passe alors une hésitation entre reconnaître le style et, dans le cas d’un visage, se demander si le personnage est mal rasé, si sa peau n’est pas boutonneuse...
À chaque lecteur de se débrouiller avec sa manière de lire...
Minimalisme
Les petits traits, placés et orientés, utilisés avec économie, peuvent jouer un rôle plus important que leur taille. Dans ce visage, voici quelques uns de leurs effets.
En 2, ils esquissent les rides,
en 3 et 4, ils traduisent le caractère, la physionomie, les sentiments,
en 5, 6 et 7, ils suggèrent les formes d’un visage.
Ils amorcent en réalité des lignes qui pourraient être plus longues.
Et bien sûr, ils peuvent être joyeusement mélangés pour multiplier les effets ....
Bon tout cela est connu et assez courant.
Le dessin de Tomi Ungerer
Ce que j’y ai trouvé est un peu plus rare.
Il s’agit d’une affiche pour un spectacle de Jean-Marie Hummel
et de Liselotte Hamm, de la Manivelle
titré « Où sont passés les hommes ? »
sous forme de cabaret littéraire et musical.
Après avoir apprécié la force et l’humour de l’image, j’y ai trouvé un rôle tout à fait intéressant à ces deux «dépassottes» (petits traits qui dépassent)
Elles précisent la perspective des jambes. Pas moins que ça !
Tomi a compris, ou a parfaitement ressenti l’importance de ces ajouts.
A la jonction entre le pied et la jambe, Tomi donne un ordre perspectif.
Dans la jambe de gauche, le trait du pied passe devant le trait de la jambe, c’est à dire met pour le lecteur le pied devant la jambe et fait pencher cette dernière (légèrement) vers nous (bon, c’est vrai qu’on devrait voir un peu le dessous du pied).
Inversement, la «dépassotte» du trait de la jambe sur le pied, à droite, plaçant la jambe cette fois-ci avant le pied, fait pencher la jambe légèrement vers l’arrière.
Ce qui est certain, c’est que, préméditées ou dessinées d’instinct, ces deux dépassottes ne sont pas là par hasard. Elles sont éloquentes.
Petit exemple
Pour confirmer ce rôle, observez ce dessin de doigt et comment peuvent agir les «dépassottes» bien disposées.
En faisant qu’un volume passe devant l’autre, nous pouvons donner à ce doigt une orientation, une perspective parfaitement maîtrisée.
Ce n’est tout de même pas rien !
Vous allez-vous dire que je suis un vrai maniaque ou un pinailleur.
Je n’ai jamais eu l’impression de l’être, je ne suis pas passionné par le savoir des techniques, et j’utilise généralement ce que j’ai sous la main et je mélange allègrement les techniques.
Mais à me relire, je trouve qu’effectivement, je pousse un peu. Mais bah, pour une fois...
Et puis tiens, je vais en rajouter une dose pour clore cette rubriquette.
Astuce
Je donne un truc, aux dessinateurs surtout.
En typographie, j’avais appris d’un excellent professeur du dessin de la lettre, que pour donner la vision d’un coin parfait, il fallait rajouter ou retrancher un petit trait, une petite queue sur le dessin agrandit, quasiment invisible à l’œil nu en réduction, au format d’impression, donnant l’illusion de la perfection du dessin des coins de lettre.
Le L de droite, grâce à ses petits traits saillants ou rentrants,
en réduction, paraît ainsi mieux fini que celui de gauche.
Ce truc est bien sûr valable pour tout dessin de surfaces à angles vifs, puisqu’on ne dessine plus de lettres depuis longtemps.
A l’époque bien lointaine où je dessinais des lettres , des logos, je me suis toujours servi de ce procédé graphique. Invisible et efficace.
Les dessins sont riches de tous ces trucs et astuces, de ces ponctuations.
A vous de fouiller les images et de les déceler, de découvrir leurs rôles.
Bonne pioche !
Et n’oubliez pas :
Petits traits, grands effets tout de même !
Claude Lapointe
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images copyright Tomi Ungerer et Claude Lapointe