L’étranger vu par l’enfant dans les livres de littérature jeunesse
Dans le courrier, ce matin, un envoi des éditions Motus, un album grand format que je reçois soudain comme une nouvelle interpellation sur le sens de la rencontre de l’Autre « différent », parce qu'elle est murmurée en mots et en images par François David et Stasys Eidrigevicius.
Qui se souvient qu'en 1986, l’UNICEF avait lancé une vaste enquête auprès des enfants du monde entier sur ce thème et que des spécialistes de l’enfance en avaient étudié avec attention 1es réponses lors d'un colloque tenu à l’UNESCO ?
L'ambigüité du mot « étranger » en français permet plusieurs interprétations alors que l’allemand, l’anglais, l'espagnol ont besoin de deux ou trois mots pour couvrir le terme. Retrouve-t-on alors partout la même approche des problèmes ? Les livres « pour enfants » sont-ils utiles, ici et ailleurs à l’apprentissage de la compréhension internationale ?
Dans les manifestations grand public que sont devenus les salons du livre et de l’édition, nationaux et internationaux, nous percevons, peut-être mieux qu'ailleurs encore, l’immense responsabilité des médias dans le façonnement de cette image de l’étranger dans la conscience des jeunes lecteurs.
L’une des caractéristiques marquantes de l’édition contemporaine pour la jeunesse, nous le savons tous, est d'être multinationale et interculturelle. La critique attentive sait que les écrivains envisagent tous les cas de figure à donner aux enfants confrontés à la présence de l’étranger, que « ces images de l’Autre » soient la perception réaliste d'une mise en situation dans un contexte social quotidien (sous forme romancée ou sous forme documentaire) ou propositions plus « artistiques » de découverte de cultures différentes.
La critique spécialisée sait aussi que l'impact de la télévision et des médias audio-visuels a conduit de plus en plus certains éditeurs industriels à entrer dans un circuit d’import-export de « produits » au message manichéen et simpliste, en exploitant les stéréotypes à la mode dans les milieux culturels dominants, au fil du temps. La vente se fait par envahissement du marché.
Comment est-il possible d’aller vers l’Autre, alors que l'enjeu de l'éducation à la compréhension internationale est entre les mains d'industriels de la communication et que les impératifs et les intérêts financiers poussent surtout à une diffusion multiforme ? Il y a rotation rapide, dont la médiocrité, répandue en masse, se révèle plus que toxique.
Comment est-il possible que les enfants découvrent l’Autre et l’Ailleurs, les gens et les choses de l’étranger, pour pouvoir se définir eux-mêmes par rapport à la communauté humaine ?
Nous devons admettre que le fait que l’image soit relativement facile à comprendre par tous crée parfois un réel danger par une diffusion sans discernement éducatif.
Ann Pellovski, spécialiste américaine des problèmes de 1a lecture dans les minorités ethniques et dans les pays en voie de développement, a écrit « qu'il est prouvé, désormais, que si les enfants ne se retrouvent pas dans les livres que « leur » milieu culturel apprécie le plus, ils acquièrent et gardent une piètre opinion d'eux-mêmes et de leur culture tout le reste de leur vie ». Il est évident que même dans les pays à développement audio-visuel hyper perfectionné de grands secteurs de la population enfantine des minorités ne voient jamais une représentation correcte d’eux-mêmes et de leurs groupes ethniques.
Mais il existe dans tous les pays des éditeurs soucieux d'éducation, de littérature et de culture au sens humaniste du terme.
Et ils sont nombreux pour faire contrepoids au moins dans l'évolution créative de l'industrie éditoriale.
Il est vrai que peu d'écrivains, peu d’artistes de par le monde ont été capables, sont capables de transcender l'interrogation sur l'identité de la personne à l'intention des enfants.
Il y a eu et il y a de géniales exceptions :
Leo Lionni avec Petit bleu et petit jaune ; Ziraldo avec Flicts ; Peter Spier avec People ou 4 milliards de visages ; Stasys et François David avec Le garçon au coeur plein d'amour ; Stepan Zavrel et Le pont des enfants ; Nacer Khemir et l'Ogresse ; Jean Claude Marol avec Feudou, dragon secret ; Michèle Daufresne et Irma, bec en l’air ; Dominique Falda et Leo et Zoé ; Beatrice Alemagna et Gisèle de verre ; Letizia Galli avec Connais-tu Igor et aussi Tricheurs, menteurs et fanfarons ; Clotilde Bernos et Animatou ; Thierry Dedieu et le Mangeur de mots ; André François, François David et Le fils de l’ogre ; Eduardo Munoz Bachs , Nicolas Guillen avec La ballade des deux grands-pères ; Tassies et El nino perdid ; ce sont aujourd'hui , pour moi, des exemples de conteurs imagiers qui, en situant leur récit hors sphère et hors temps, arrivent à communiquer avec les enfants du monde entier. L’authenticité de pensée des artistes créateurs, la qualité de leur travail littéraire et graphique par delà leur propre nationalité, les font citoyens du monde. Qui poserait des questions sur la nationalité du Yok-Yok d'Etienne Delessert ?
Cependant, dans le contexte de la mondialisation de l'industrie éditoriale, il faut le reconnaitre, la plupart des ouvrages traitant de l'image de l'Etranger à l'intention des jeunes lecteurs paraissent être conçus pour l’usage interne d'une communauté nationale précise. Peu d'histoires sont transposables, peu de récits sont traduisibles, donc exportables d'un pays à l'autre.
Ils répondent, avant tout, à une question du moment, exigeant une réponse rapide pour les enfants: la présence de l’étranger et la cohabitation avec lui. Alors le réalisme domine, et les livres se font dans le contexte social du public visé. Ainsi de plus en plus nombreux paraissent dans les pays industrialisés des livres documentaires et didactiques, souvent bilingues, mettant en scène la rencontre avec « l'étranger », enfant de travailleur émigré ou d'exilé politique, dans la perspective de faire comprendre au jeune lecteur les problèmes d'intégration dans le quotidien de la vie du pays d'accueil pour les uns et pour les autres.
La mise en forme littéraire de ces problèmes est plus rare, les écrivains s'intéressant à cette littérature spécifique étant de moins en moins nombreux: nous sommes dans l'Ere du Cyberspace, désormais.
Mais aujourd'hui comme dans les années de la décennie 90/2000 dans son ensemble, on peut le constater sur Ricochet, l’édition enfance jeunesse renvoie à l'enfant lecteur toujours deux images de l’étranger : celle d’un individu sûr de soi et fier de son appartenance à un milieu, fier de sa nationalité venant vers l'autre pour une rencontre à égalité ; celle aussi de l’humilié, avide d'être reconnu par l'autre et, ainsi, valorisé à ses propres yeux par cette reconnaissance.
Cette recherche de reconnaissance et d'acceptation par l'autre est implicite dans les « œuvres » dignes de ce qualificatif. L'anniversaire de l'Année Internationale de l’Enfant créée par l'UNESCO en 1979, est passée inaperçu. Mais, cette année, Hélène Giration Alphandéry (revue Enfance) lançait dans Le Courrier de I'UNESCO un appel pour « le droit à un nom et à une patrie pour tous les enfants du monde ».
Il me semble juste de reconnaitre, en ce moment, que de nombreux écrivains et artistes illustrateurs ont, depuis la création de cette « Année de l'enfance » illustré ce concept : « c’est sous le regard d'autrui que tout enfant prend confiance de son identité ».
Par rapport à autrui « l'enfant étranger » se sent, selon les circonstances, un ami ou un exclu.
Octobre 2010
illustration d'Etienne Delessert,tirée de Le Chat qui parle trop, à paraître chez Giboulées-Gallimard