Marcel Jacno

Citant dans ma dernière chronique le nom de Jacno, je me dois de lui rendre un nouvel hommage. J’écris nouvel parce que je n’ai jamais manqué de dire combien je lui étais reconnaisssant de m’avoir communiqué l’essentiel de son savoir en matière typographique, et cela de façon discrète si toujours exigeante, voire sévère et assurée.

À ses côtés durant deux années, j’ai appris en le regardant faire, mettre en page, choisir, équilibrer, jouer en silence avec le noir et le blanc, poser les textes composés sur le blanc du papier, réduire, agrandir... en artisan, en Maître.

J’ai également appris en le regardant simplement bouger, se déplacer, ôter sa veste avant de s’installer devant sa petite table de travail, retirer sa montre même avant de se laver soigneusement les mains lorsque la matinée était terminée et que nous nous séparions. Il ne venait à l’atelier que le matin. De santé fragile, séquelles de la déportation, il lui arrivait de rester alité chez lui une semaine ou deux. Je me déplaçais alors jusqu’au 13 quai d’Anjou pour lui faire valider ou critiquer mes créations graphiques publicitaires.


Il demeurait au dernier étage de l’un des plus beaux immeubles de l’île Saint-Louis.

C’était évidemment pour moi un réel bonheur que me rendre à son domicile, les murs du très grand atelier-séjour étaient tapissés des plus belles affiches que Jacno créait alors pour le TNP Jean Vilar. Je les admirais. C’eut été pour moi assez facile d’en obtenir quelques unes, par timidité je n’ai jamais osé les lui demander.

Elles sont aujourd’hui introuvables !

Je crois réellement avoir capté à ses côtés l’essentiel de son art dans cette proximité quotidienne le plus souvent silencieuse, en le regardant faire, réfléchir comme un joueur d’échecs avant de décider l’emplacement d’un titre, d’un pavé de texte, choisir un interlignage, calculer une marge... Nous possédions un goût inné pour l’excellence typographique... l’amour des Garamond, Baskerville, Caslon, Bodoni, Didot... le travail auprès de ce si cher Maître n’a fait qu’appronfondir cet engouement, affermir mon attachement au classissisme hérité des plus pures traditions humanistes.


Si je me trouve dans ce quartier de Paris, je regarde toujours avec une grande nostalgie l’adresse du 13 quai d’Anjou. C’était au début des années 1960.



GL, Gargilesse, 23 juillet 2011


 

Quelques références
Caractères typographiques créés par Marcel Jacno :
FILM-1934, SCRIBE-1937, JACNO-1950, CHAILLOT-1954
Titrage du quotidien FRANCE-SOIR, logotype du journal L’OBSERVATEUR
Charte graphique des éditions JULLIARD
Paquet de Gauloises, 1936 et 1947
Toutes les affiches du Théâtre National Populaire, TNP, 1951-1968
Classification des caractères typographiques, classification Jacno, 1978
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Anatomie de la Lettre, Marcel Jacno, 1978, éditions cfe École Estienne, Paris
Dictionnaire du Graphisme, Alan & Isabella Livingston, 1998, Thames & Hudson