LETTRE DU CAMEROUN
Il est surgi de très loin, de presque nulle part, et m'a séduit par une proposition un peu folle. Il ouvre ainsi une chronique régulière dans Ricochet, qui va nous présenter son travail au Cameroun, mais aussi celui de ses frères de plume, qui réveillent les enfants d'autres pays de cette Afrique qui parle français. La langue française, vive et alerte, la Création dans tous ses Etats!
Cette chronique est donc la première à marquer notre désir, en ancrant Ricochet en Suisse au sein de l'ISJM, de donner la parole aux pays francophones. Il nous reste encore une petite audience au Tribunal de Charleville ce mois-ci (!) pour concrétiser officiellement ce transfert, et, forts de cette information, nous n'avons pu résister au plaisir de dévoiler une de nos nombreuses nouvelles activités.
Wall Street a ses occupants qui remettent en question les structures cassées et corrompues. Ricochet va présenter aussi ceux qui construisent un monde déraisonnable, donc vrai, riche et prometteur.
A la bataille!
Etienne Delessert
ou
De l’histoire des poèmes d’enfants d’une école de brousse et des illustrations originales de grands illustrateurs dont on voulait faire un livre
Travaillant à poser la parole de l’enfant comme geste artistique et poétique, l’association Enfances en Ecritures, que j’anime depuis 2001, multiplie , principalement en milieu scolaire et dans les bibliothèques, des ateliers d’écriture et de confection de livres. Enfances en Ecritures publie les fruits de ses ateliers d’écriture et souhaite également accueillir des textes issus d’autres expériences à travers le monde, persuadés que l’acte d’écriture chez l’enfant, s’il est un voyage extraordinaire dans son imaginaire, qui sans cesse « recrée le monde de manière neuve et originale » comme l’affirme l’artiste Wolf Erlbruch, est aussi un acte esthétique.
Mieux : le cri de la mise au monde d’un petit d’Homme appelé à agir sur sa planète. D’où l’urgence d’accompagner cette parole vers une nécessaire et possible mise en lumière. Ce fragile tour de magie ne se répète que parce que des artistes de grand talent, souvent mondialement connus, et des personnes de bonne volonté, croient aux capacités créatrices de l’enfant, à cette graine d’Homme. Car comme l’écrit Étienne Delessert : « On commence par les poèmes, et les images, puis on passe à l’action : on devient ces leaders qui inspirent de nouvelles structures de vie et de pensée ».
Chat du crocodile
Chat du gorille
Tu écris
Tu griffes
Chat du serpent
Chat de la vache
Tu tues
Tu grimpes.
Collectif, CP/CE1
D'après "Le lézard" de Robert Desnos
Chat de l'escargot
Chat du singe
Tu piétines
Tu vois
Chat de la tortue
Chat de la panthère
Tu fais miaou
Tu sautes.
Collectif, CP/CE1
D'après "Le lézard" de Robert Desnos.
Cette année, pour dix jeudis (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10) et pour une série de vingt (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20) ateliers de création de mots-valise, de poèmes et d’éclats de rires, je me suis invité chez les CP/CE1 et les CE2/CM1 du Centre Culturel et École Française Victor Hugo de Bafoussam.
Jeudi, 3 mars 2011 au matin, chez les CP/CE1, je suis très vite conquis par la fraîcheur des trouvailles et l’enthousiasme des enfants. Il fait gris (ça, c’est parce que les nuages se rapprochent des arbres, et j’aime quand les nuages prennent cette pose) je suis heureux, et je leur fais la promesse que leurs créations seront illustrées par de vrais illustrateurs et qu’ils auront « leur » livre à eux, comme des grands ! (Ne dites rien ! Je le sais, je suis fou.) Mais il faut bien conquérir le monde avec les couleurs qui nous conviennent, et surtout, pousser hors de leurs petites coquilles des enfants pour une rencontre, forcément enrichissante, avec des aînés bien plus grands qu’une termitière posée au sommet du plus grand des baobabs !
J'ai rêvé d'un coq
Suis devenu le coq.
J'ai rêvé d'une panthère
Suis devenu la panthère.
J'ai rêvé d'un canard
Suis devenu le canard.
Or, sitôt que canard,
J'ai voulu être tortue
Tout soudain
Je suis devenu catortue.
Collectif, CP/CE1
D'après "J'ai rêvé" de Claude Haller.
J'ai rêvé d'une voiture
J'ai rêvé d'une voiture
Suis devenu la voiture.
J'ai rêvé d'un chat
Suis devenu le chat.
J'ai rêvé d'un vélo
Suis devenu le vélo.
Or, sitôt que vélo,
J'ai voulu être lion
Tout soudain
Je suis devenu vélion.
Collectif, CP/CE1
D'après "J'ai rêvé" de Claude Haller.
L’histoire de ce livre commence donc par une promesse folle faite dans une école de brousse (Attention: c’est peut-être la seule école dans tout l’Ouest du Cameroun à posséder une bibliothèque de plus de six mille ouvrages et à inviter un poète en classe).
Et pour tenir une promesse folle, il faut très exactement commencer quelque part. Par le début par exemple. Mais pas n’importe quel début ! Pour ma part, j’ai choisi de commencer par un début à l’apparence d’e-mail, mais qui en fait est un filet de chasse déguisé. Et je suis parti à la chasse aux illustrateurs dont je connaissais déjà la palette. Hum ! trop compliqué mon baragouin ? Je veux juste dire que j’ai emménagé, littéralement, devant un ordinateur de cybercafé. C’est pratique pour avoir à portée de souris des voisins du bout du monde. L’inconfort de ma nouvelle maison s’est probablement perdu au fond de l’un de mes trous de mémoire, ou alors il n’existe pas vraiment, car je ne me souviens que de choses heureuses depuis que Wolf Erlbruch, Philippe de Kemmeter, Hervé Tullet, Cécile Geiger, Étienne Delessert, Marie-Pierre Hauwelle et Tom Schamp, mes voisins du bout du monde ont accepté de rêver avec nous en habillant de leurs illustrations les mots des enfants de Bafoussam.
Parce que le chien est noir
Pourquoi la tomate est rouge
Parce que la maison est rouge
Pourquoi la porte est noire
Parce que j'ai un sac neuf
Pourquoi la marmite ne s'ouvre pas
Parce que j'ai des chaussettes noires
Pourquoi la poule est noire
Parce que je marche
Pourquoi le salon est grand
Parce que les étoiles brillent
Et parce que la montre est en panne.
Collectif, CP/CE1
Par exemple, je me souviens du jour où a commencé la belle pluie drue et continue des illustrations, tordant puis arrachant les arbres du doute dans ma tête. Ce jour était si beau que j’en ai oublié les autres voisins (vous savez, ceux qui ne répondent pas aux trois petits coups sur la porte, ceux qui vous font attendre devant une tasse de café pendant qu’ils filent par la porte de derrière, ceux qui ont d’autres chats, sonnants et trébuchants ceux-là, à fouetter, etc.) Quel énorme pot j’ai eu là ! Et vous savez quoi, quand on a un pot de cette taille-là, il ne faut pas le laisser tomber par terre, il pourrait se briser. Alors, je le serre très fort. Donc pas question de souffler !
Le four et le moulin tournent à plein régime. Wolf Erlbruch qui a préfacé Ceci est un Poilune ! (C’est le titre de ce livre qui sera aussi un livre de coloriages grâce à Hervé Tullet) peaufine la maquette. Je lui ai envoyé ce matin même, la liste des coquilles qui voulaient jouer au plus fin avec nous. Wolf rencontrera l’imprimeur mercredi 7 décembre pour l’impression de trois maquettes professionnelles. Étienne Delessert qui nous a envoyé une illustration depuis son Connecticut et qui nous a fait l’honneur de rédiger la postface, m’accorde encore quelques minutes pour mettre la dernière main à ces lignes que j’écris pour les lecteurs de Ricochet-jeunes.org. « Et toi alors ? » Moi ? Moi, je tape ces lignes, bien sûr, frappe à toutes les portes...et loge toujours devant un ordinateur de cybercafé.
Ah! mais depuis quelque temps, j’ai un téléphone à portée de main. Rien ne vaut un bon vieux téléphone pour téléphoner, vous savez. Ne vous amusez pas à lui préférer un citron ou une orange, cela ne marcherait pas ! Récemment, je me suis servi de ce bon vieux téléphone pour appeler Jean Foucault, Uwe Jung et Sylvie Neeman, la responsable de la revue suisse Parole. Et ça a marché comme sur des roulettes ! Jean nous a fait de la pub (très important, la pub) dans sa nouvelle revue Mille et un poètes. Madame Irene Bark, directrice de l’Institut Goethe de Yaoundé m’a reçu et, avec Uwe, nous avons discuté de la publication : elle va nous accompagner dans la folle aventure… Sylvie, elle, attend le PDF du livre. Qui sait, elle sortira peut-être de son chapeau un coéditeur, une impression tous frais payés ou quelque chose comme ça. Elle est magicienne à ses heures perdues, Sylvie, vous savez. Vous croyez que j’aurais obtenu tout ça en me servant d’un citron ou d’une orange pour téléphoner ? Bon, c’est pas tout, ça ! Il y a quelqu’un qui s’impatiente dans son Connecticut. Puisque mon petit doigt me dit que cette aventure folle est encore longue, ce n’est pas la peine de le faire attendre plus longtemps. Donc, je vais mettre juste trois points de suspension, comme autant de petits cailloux blancs, comme une invitation à venir jouer avec nous…
Alain Serge Dzotap
Yaoundé, le 5 décembre 2011
Wolf Erlbruch, Tom Schamp, Philippe de Kemmeter et Etienne Delessert