Drôle d'anniversaire !
Au moment de la préparation d’un numéro spécial qui me sera consacré dans une publication bien connue pour la promotion de la littérature et illustration jeunesse, à paraître en octobre 2012, j’ai demandé à quelques proches amies et amis une participation fraternelle et professionnelle. L’idée m’est venue de solliciter le témoignage de la directrice d’une grande Maison d’édition jeunesse parisienne avec laquelle je collabore depuis de longues années. Nous nous sommes rencontrés au mois d’août, à Paris, afin d’échanger nos vues sur le contenu de l’article à rédiger.
Coïncidence ! Il se trouve que cette année 2012 correspond aux quarante années d’existence de cette prestigieuse Maison d’édition et, naturellement, nous avons évoqué la possible commémoration de son anniversaire. C’est alors que mon amie directrice et éditrice me présenta et m’annonça, en prenant les formes courtoises, une « mauvaise nouvelle » me concernant. Diable, qu'ai-je fait ? Non, non ! Il s’agissait ni plus ni moins de m'informer de la suppression intégrale de mes dessins illustrant un célèbre roman d’un célèbre auteur contemporain dont la première version illustrée datée de 1977 (dépôt légal : 4e trimestre 1977. N° d'édition : 22625) avait été publiée dans la toute nouvelle et non moins devenue rapidement célèbre collection de poche jeunesse créée début 1970.
La décision de suppression de mes dessins découlait donc d’une nécessité de renouvellement éditorial ; il fallait « trouver un nouveau look » et, par conséquent, de nouveaux dessins… en couleurs. Ainsi, mes dessins prenaient-ils la direction virtuelle de la poubelle, et bien sûr, mes droits d’auteur aussi, par la même occasion! Et tout cela parce que l’éditeur avait fait le choix, pour cette version anniversaire, de commander de nouvelles illustrations... à un nouvel illustrateur !
Drôle d’anniversaire !
Alors, je me suis mis à imaginer un autre scénario afin de ne pas trop sombrer dans un état dépressif. Voici le message que j’aurais pu recevoir si la prestigieuse Maison d’édition avait su inventer, mettre en œuvre au lieu d’éliminer mes dessins en l’absence d’une mutuelle réflexion :
Pour commémorer cet anniversaire qui nous concerne tous et nous tient tant à cœur, dans le droit fil de notre ligne éditoriale, l’équipe au grand complet et moi-même avons décidé de rééditer un des best-sellers auquel tu as grandement contribué par tes images, en te demandant de nouveaux dessins, mais en couleurs cette fois. Nous te laissons libre de la technique. Quarante années de vie professionnelle commune, ce n’est pas rien ! Les années ont passé, mais ta palette s’est élargie, enrichie, libérée... et notre envie d’œuvrer pour la littérature jeunesse est demeurée intacte... tu le sais ! J’ai donc la joie de te proposer de réaliser pour l’occasion une nouvelle version. Elle mettra à l’honneur l’auteur (toujours vivant) et ton éditeur (attitré !), elle visera la modernité, la beauté et le prestige que réclame encore et toujours ce roman qui, depuis nos débuts ensemble continue de se vendre, tu le sais, à 100.000 exemplaires par an.
Cher Georges, j’espère impatiemment ton accord. On fera la fête ! »
A ma réponse positive et enthousiaste, « les commerciaux » rougissants se seraient trémoussés de plaisir sur leurs chaises ! Les deux livres dans un petit coffret, la bonne affaire ! L’accompagnement marketing aurait suivi avec ardeur et efficacité.
Pensez-donc ! Deux éditions à presque quarante années de distance ! Quelle plus belle marque de fidélité partagée ? Quelle plus éclatante preuve de réussite ? Même éditeur. Même auteur. Même illustrateur !!! C’eut été un mémorable coup éditorial.
Mais voilà, ne rêvons pas, la trop belle occasion est ratée. Personne n’y a pensé dans la Grande Maison quadragénaire... personne n’a su y faire briller, en cette affaire, la moindre petite étincelle de créativité artistique et commerciale... Personne !
Drôle d’anniversaire !
Allons donc ! Mesdames et Messieurs les éditeurs jeunesse, que les bonnes fées raniment si elles le peuvent encore, les cendres qui refroidissent !
Georges Lemoine
* Qu’on se rassure, les dessins originaux illustrant ce roman publié pour la première fois dans une collection de poche, font partie de la donation que je fais au MIJ - (Musée de l’Illustration Jeunesse) de Moulins.