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Dés-Agréments d'un voyage d'agrément de Gustave Doré

J.P. Gourevitch
1 janvier 1990


Des-Agréments d'un voyage d'agrément par Gustave Doré. Préface d'Annie Renonciat. Editions Le Capucin 2001 38 euros. 249F, 25.

Cent cinquante après sa parution chez l'éditeur Aubert, en novembre 1851, voici la réédition à l'identique d'un chef-d'oeuvre de Gustave Doré , totalement méconnu de la critique et qui est pourtant un des incontournables de la préhistoire de la bande dessinée française.

En 1851, Gustave Doré a dix-neuf ans; il n'a pas encore rencontré la Comtesse de Ségur ni illustré les Contes de Perrault. Il a publié quatre ans plus tôt chez Aubert les travaux d'Hercule où se lit l'influence de Töpffer, le créateur des "autographies", de cette "littérature en estampes" dont Töpffer dira qu'elle agit principalement sur les enfants et le peuple, les deux classes de personne qu'il est le plus aisé de pervertir, et qu'il serait le plus désirable de moraliser".

Mais il n'y a nulle intention moralisatrice chez Gustave Doré. Le propos est comique et satirique: satire du tourisme montagnard, de la bourgeoisie commerçante, du désir d'écrire et de peindre, de l'aventure romanesque...Gustave Doré prend visiblement plaisir à jouer avec l'album dans la composition des planches et la distanciation qu'il prend par rapport à son oeuvre. Le fait n'est pas strictement nouveau et l'on peut penser à la profusion créative des textes et de l'image du Voyage où il vous plaira (Tony Johannot, Alfred de Musset, P.J.Stahl) ou aux albums de Cham qui s'affirme en France comme un des continuateurs de Töpffer. Mais chez Gustave Doré la surprise est à chaque planche de l'album. Il entremêle dessin pleine page et surdécoupage de l'action à la manière d'un dessin animé. Il enchaîne une succession de médaillons censés représenter l'image de son mari que Madame Plumet observe à la lorgnette. Il inscrit l'empreinte d'un pied au milieu de la page pour traduire la glissade d'un ramoneur au-dessus des croquis du voyageur. Il hachure un espace de traits gris en prétextant que "mon imagination étant fort usée pour la planche ci-dessus, je ne sais que mettre à cet endroit". Il conclut son album par une "morale d'une éternelle vérité" comme quoi "les Albums de Gustave Doré tendront toujours à embellir la nature et la triste réalité".

Gustave Doré fait exploser les codes du récit et de l'histoire en images. Il annonce à la fois Christophe et Pierre Dac avec un mélange de naïveté et de roublardise inattendu chez un auteur aussi jeune. Il y a un bonheur de l'album à redécouvrir dans cette oeuvre prometteuse que la préface d'Annie Renonciat, curieusement dupliquée sur les pages de garde au début et à la fin de l'ouvrage, éclaire avec finesse et précision. Partons avec Gustave Doré pour le plaisir des yeux!