Roman pour adolescents : trois approches
MERCREDI 12 JANVIER 2005
9h15-10h15
Animatrice : Mariette Darrigaud, sémiologue
Intervenants :
- Jack Chaboud, auteur et responsable de collections
- Bernard Friot, auteur et traducteur
- Gudule, auteur
Lors de cette conférence, trois auteurs nous ont parlé de leurs livres et de leur manière d'écrire, de leur vie et de leurs choix, mais aussi de leur vision de la littérature jeunesse d'aujourd'hui et de la place que prend (ou pas) les romans pour adolescents dans celle-ci.
Anne Duguël, alias Gudule est née en 1945 à Bruxelles. Très vite passionnée de lecture et d'écriture, elle a été publiée pour la première fois en 1987 (aux éditions Syros) et vit aujourd'hui de sa plume en écrivant pour les enfants mais aussi pour les adultes.
Elle ne se définit pas comme un auteur pour adolescents exclusivement, mais écrit effectivement souvent en leur direction. Ses héros sont surtout des enfants ou des adolescents. Cependant, certains livres passent les barrières et sont aussi bien lus par des adultes. " La vie en rose " (Grasset Jeunesse, 2003) a été publié chez France Loisirs pour les adultes, et elle avoue que son éditeur aurait volontiers publié " J'irai dormir au fond du puit " (Grasset Jeunesse, 1999) pour les adultes. Elle pense qu'on ne peut pas aborder tous les thèmes en littérature jeunesse, mais affirme que pour elle cette " censure " se fait naturellement, sans y penser. Elle fait appel à ses souvenirs et à son vécu adolescent pour retranscrire le ressenti de ses personnages.
En matière de roman pour adolescent, son parcours a été marqué par les réactions suscitées par son livre " L'amour en chaussettes " (Thierry Magnier, 1999). Sous forme de journal intime, il décrit l'histoire d'une adolescente et les évènements qui vont la mener à vivre sa première relation sexuelle. Sélectionné pour le prix Rosny Aîné, le livre a été par la suite violemment critiqué par les établissements privés (qui ont également fait pression sur les organisateurs du prix), qualifiant l'ouvrage de " pornographique ". Gudule s'est attiré ces critiques par sa volonté de tout raconter, d'écrire pour les adolescents une scène crue et vraie. " Car étant jeune, personne ne me disait rien " explique-t-elle.
En ce qui concerne son sentiment face à l'avenir des livres jeunesse, elle admet sa tristesse de voir l'importance de plus en plus imposante de la littérature anglo-saxonne. En effet les auteurs français sont de moins en moins publiés et traduits ; est-ce que le marché du livre jeunesse ne se dirige pas vers un impérialisme culturel ?
Bernard Friot est né près de Chartres en 1951. Il vit aujourd'hui à Besançon et se consacre à l'écriture et à la traduction.
Lors de la conférence, il a immédiatement abordé le thème de son rapport aux lecteurs. Dans son désir d'entrer en communication avec eux, son ambition est d'écrire des textes pour la jeunesse qui intéressent aussi les adolescents. Il attache tout particulièrement de l'importance aux rencontres avec ses lecteurs, souvent très intenses, et aux lettres qu'il reçoit. " Le livre permet la parole " dit-il.
En ce qui concerne les sujets à ne pas aborder dans les romans pour adolescents, il est très clair : on ne peut pas rester dans l'illusion de les protéger de la réalité. Le divorce, le chômage, les problèmes d'argent : ils ont conscience des ennuis de la vie d'adulte ; mais leur image de la sexualité est déformée et violente (60% des adolescents garçons de 15 ans auraient vu un film pornographique). Il cite alors le livre de Gudule, " L'amour en chaussettes ", et s'indigne des critiques qui jugent cet ouvrage trop érotique pour les adolescents qui ont par ailleurs facilement accès aux romans pour adultes… Dans cette perception incertaine de la vie, l'édition est là pour créer des repères pour les adolescents, avec des romans adaptés à eux.
Avec son roman " Un autre que moi " (La Martinière, 2003), Bernard Friot a été confronté à des critiques étonnantes : des comités de bibliothécaires ont jugé ce livre dangereux, car écrire un roman pour adolescent présupposait selon eux une fin heureuse et positive. " A ne lire qu'accompagné " mentionnait le commentaire. Dans son livre (autobiographique) Bernard Friot s'est beaucoup impliqué et raconte une semaine de sa vie d'adolescent, du départ pour l'internat le dimanche soir au retour à la fin de la semaine. En effet, la conclusion n'apporte pas un changement ni un évènement heureux dans sa semaine morose. Il a eu besoin d'être sincère et de ne pas écrire un livre consensuel.
Bernard Friot ne veut pas soigner ou donner une réponse aux adolescents, mais plutôt les aider à se construire en se posant des questions qui vont amener plusieurs réponses. Il ne se demande pas quel est son message : comme Gudule, son écriture change naturellement quand il passe des livres jeunesse aux livres pour adultes.
A la fin de la conférence, il s'est interrogé sur le développement de l'édition jeunesse. Il existe de plus en plus de livres mais les ventes sont toujours concentrées sur un nombre de titres réduit. La littérature pour adolescent n'est qu'une proposition de lecture, et c'est le rôle des médiateurs et des éditeurs de procéder à une sélection des livres. Les romans pour adolescents sont de plus en plus présents sur le marché du livre, mais la diversité de la production n'est pas assez exploitée alors qu'elle pourrait être utilisée pour gagner de nouveaux lecteurs.
Jack Chaboud est né en 1943 à Lyon. Anciennement journaliste et scénariste, puis enseignant en communication, il est aujourd'hui directeur de collection en plus de son activité d'écrivain.
Il se définit tout d'abord comme un auteur pour la jeunesse. Dans ses romans, il plonge le lecteur dans un monde fantastique et fantasmatique. " Les adolescents ont aussi besoin de rêver " explique-t-il. Son écriture est fondamentalement différente quand il écrit pour des adultes. Cependant, ses romans fantastiques cachent une réflexion profonde sur la vie (il cite alors " La nuit du 8 décembre ", sorti chez Magnard en 1996).
Aujourd'hui que la littérature dite " pédagogique " est dépassée, on a tendance à estimer que les romans sont " libérés ", et que tout peut se dire à travers eux. Jack Chaboud soutient que c'est une fausse idée, et que les éditeurs sont des filtres indispensables. Le passage d'une lecture pour adolescent à une lecture pour adulte est souvent compliqué ; cependant il cite certains livres qui ont séduit tous les âges : Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux mais aussi des œuvres comme " J'irai dormir au fond du puit " de Gudule.
Aujourd'hui la littérature jeunesse prend le virage de tous les genres littéraires, avec ce que cette évolution peut contenir de positif et de négatif. En effet, comme pour la littérature adulte, les livres jeunesse sont de plus en plus soumis aux lois du marketing, des séries ciblées, des rachats de droits…etc. Jack Chaboud estime que pour ce qui est des livres de qualité, la littérature jeunesse arrive à maturité, mais que trop peu de gens le réalisent.