Dialogue autour d'une image : le choix d'une illustration, enjeux et problématiques professionnelles
MERCREDI 12 JANVIER 2005
9h15-10h15
Animatrice : Sophie Van der Linden, directrice de l'Institut Charles Perrault
Intervenants :
- Géraldine Alibeu, auteur et illustratrice
- Daniel Maja, illustrateur
- François Place, auteur et illustrateur
- Jean-François Saada, directeur artistique du département Nathan jeunesse
- Nicole Wells, professeur à l'IUFM de Créteil
On pourrait croire qu'il y a une formule magique pour faire un album qui marche, mais ce serait se tromper. Car l'illustrateur, quand il commence à travailler sur un livre, ne sait pas trop où il va. Daniel Maja disait de plutôt faire confiance à la main, car l'illustration se fait autant qu'elle se pense, et reflète l'intimité profonde entre ce que l'on est et ce que l'on ressent.
Le métier d'illustrateur a été bien illustré par une métaphore. La façon d'aborder le texte de l'illustrateur peut se voir de deux points de vue : soit celui-ci est un sanglier qui creuse la terre, s'enfouit dedans ; soit il est un renard, il flaire les choses, tout en légèreté. Toujours est-il que tous se rejoignent sur ce point : l'illustrateur cherche l'unique, en faisant attention à éviter l'écueil des sentiers battus, qui font que parfois, le texte et les illustrations vivent chacun de leur côté. Selon François Place, il faut faire chaque livre comme si c'était le dernier, dans le but d'en tirer chaque fois la meilleure originalité possible.
Il arrive parfois que les illustrateurs deviennent auteurs. En effet, Géraldine Alibeu disait que la démarche d'écrire ses propres textes vient d'illustrer. Au début, on ne voit que les images que l'on dessine, puis peu à peu des phrases apparaissent et vient l'envie d'écrire ses propres textes, qui créent ainsi un rapport plus étroit avec l'image. La réciproque peut être également vraie.
Au tout départ, c'est le texte qui fait partir l'imaginaire de l'illustrateur. Mais il arrive que l'imaginaire de l'illustrateur lui échappe : des associations de mots ou d'idées peuvent naître chez ses lecteurs sans qu'il en soit responsable.
Il faut savoir qu'il y a bien des illustrations qui se marient plus ou moins bien aux images. Là, c'est au directeur artistique de se poser les bonnes questions : quel type d'illustrateur je vais choisir pour ce texte ? Une fois celui-ci choisi, le directeur artistique doit voir avec lui quel type de papier choisir, pour quel type d'illustration. Cependant la typographie et le format restent toujours une surprise pour l'illustrateur qui peut, à la fin, redécouvrir le texte et ses illustrations.
Ici a lieu la seule fissure de toute la conférence : deux façons de voir l'illustration nous ont été présentées. Selon Daniel Maja, l'illustration n'est pas simplement aider ou favoriser la lecture, mais est au contraire une autre dimension, sans que cela crée de contre sens. Selon François Place, l'illustration doit jouer un rôle plus modeste : parfois elle peut mener ailleurs, mais il arrive aussi qu'elle limite l'imaginaire du texte. L'illustrateur doit se soucier tout d'abord de ne pas casser ce qu'apporte le texte, dans le sens où ses images doivent jouer le rôle d'accompagnantes.
Quant au monde de l'enseignement, Nicole Wells affirme que lorsqu'elle fait étudier des albums jeunesse à ses élèves, ils se rendent compte que les informations viennent autant du texte que de l'image. Selon elle, un texte réussi ne dit pas tout. Les images disent ce qu'il y a entre les mots, ce que les illustrateurs ont lu entre les mots. Avec les images, on peut aider ainsi un jeune lecteur dans sa lecture.
Viennent ensuite les questions du public. Que fait-on des illustrations sur romans ? C'est un travail différent, répond l'un des intervenants. Il faut se jeter à l'eau : une couverture de roman est plus proche d'une affiche qu'une illustration dans un album jeunesse : celle-ci doit donner une idée du texte. C'est cela qui peut s'avérer effrayant pour un illustrateur de couverture de roman.
Les couvertures sur albums sont également cruciales, surtout pour les one-shot (un album solitaire, sans lien avec une collection quelconque). Celles-ci doivent pouvoir capter le regard de l'acheteur potentiel, surtout dans une librairie jeunesse où tant d'albums se disputent l'attention des lecteurs : un centième de seconde à peine est accordé à chacun, sauf pour les heureux élus. Pour Harry Potter, la couverture n'est pas un problème, elle aide même à reconnaître le livre. Mais pour les autres, les inconnus, celle-ci est capitale. C'est sur elle que repose l'avenir de l'album pour la première approche.
Y a-t-il un dialogue entre l'auteur et l'illustrateur ? Au contraire. Moins il y en a, mieux c'est, répond Jean-François Saada. Le directeur artistique est le chef d'orchestre. Le mariage se fait à l'aveugle, chacun travaille de son côté, évitant ainsi des influences mutuelles. Il peut y avoir dialogues, certains échanges peuvent se révéler intéressants, mais de manière générale, le meilleur travail reste lorsque les deux auteurs ne se rencontrent pas.
Qu'en est-il de la bande dessinée ? La bande dessinée est un autre langage, répond François Place. Il y a des contraintes dans la bande dessinée, l'efficacité de la lecture : le rapport image/texte doit être immédiat. Daniel Maja ajoute qu'il y a trop d'images. Dans l'album, le but est de rassembler, resserrer les images. Dans une bande dessinée, au contraire, il y a un déploiement des images. Il y a des gens qui réussissent les deux, mais c'est différent. Les univers mentaux ne sont pas proches.
La conférence s'est terminée faute de temps. Mais toutes les questions du public n'ont pas trouvé de réponse. L'illustration gardera un long moment encore sa part de chance, d'imaginaire, et d'originalité.