A la rencontre de la création : Claude Combet interroge Pierre-Marie Beaude et Martine Bourre
Mardi 11 janvier 2005
14h45-15h45
Animateur : Claude COMBET, journaliste à Livres-Hebdo
Intervenants :
- Pierre-Marie BEAUDE, auteur
- Martine BOURRE, illustratrice.
Dans un premier temps, Claude Combet a demandé aux deux invités, dont quelques livres étaient exposés sur la table, de présenter leurs parcours respectifs.
Martine Bourre est une illustratrice chevronnée, elle a en effet 30 ans de métier derrière elle et entre 100 et 120 livres à son actif. Elle utilise surtout la technique du collage de différents matériaux (végétaux, tissus, objets divers …). Déjà à l'âge de 5 ans, elle savait qu'elle voulait dessiner des livres. Les quatre années qu'elle a passées à l'Ecole Supérieure des Arts Appliqués Duperré, lui ont permis d'apprendre toutes les techniques artistiques, sauf l'illustration. Mais cette variété lui est très utile aujourd'hui. Pendant quatre ans, elle a fait des dessins animés (rhodoïdes) dans le domaine médical. Puis elle a débuté, difficilement précise-t-elle, dans l'illustration en 1973. Son premier livre avait pour thème les animaux du jardin. Son idée fixe étant les " bestioles ", il fallait qu'il y ait des animaux à dessiner.
Pierre-Marie Beaude est, quant à lui, professeur à l'université de Metz. Il est spécialiste du judaïsme ancien et des origines de la chrétienté. Grand voyageur, sa production très variée est empreinte de son intérêt pour toutes les cultures, comme Issa, enfant des sables et Fleur des neiges. On peut qualifier ses ouvrages de romans d'apprentissage destinés aux enfants, adolescents et jeunes adultes. C'est par hasard que Pierre-Marie Beaude est arrivé dans le monde de la littérature jeunesse, ce qui ne l'empêche pas de s'y sentir très bien. Il a eu un premier contact avec le rédacteur en chef d'Okapi (magazine jeunesse) dans les années 1980, qui l'a lancé avec Flora, l'inconnue de l'espace. Puis les rencontres avec les éditeurs s'enchaînent. Un autre roman est publié. L'auteur ne l'avait envoyé qu'à " Gallimard l'Ancien ". C'était un roman pour adulte, Le muet du roi Salomon, qui sera publié en tant que roman jeunesse, mais qui gagnera un prix pour adultes.
Après s'être présentés, les deux invités ont exposé leurs méthodes de travail, et leur processus de création. Martine Bourre travaille aujourd'hui principalement avec Didier Jeunesse et a signé plusieurs albums dans la collection A Petits Petons. C'est l'illustratrice qui choisit les comptines, courtes de préférence, qu'elle souhaite illustrer et parfois allonger. Lorsqu'elle illustre le travail d'un auteur, elle ne le rencontre pas ou peu et généralement à la fin. Il lui faut environ trois mois pour illustrer un album avec ses collages. Pour le dernier, il ne lui a fallu qu'un mois. Elle construit ses petits tableaux, ses collages aux mesures de l'album. Une fois que tous les matériaux sont solidement collés sur un carton - elle les garde pour les exposer sous Plexiglas -, la planche est transmise au photographe.
Pour Le loup et la mésange, le loup est fait d'écorce d'arbre, pour faire ressortir son agressivité alors que la mésange est faite d'un gant de laine d'enfant, jaune aux doigts bleus. Il est essentiel pour l'illustratrice que ses collages suscitent des émotions. Le sens du toucher est également très important pour elle, étant donné qu'elle est " myope comme une chaufferette ". Les matières sont tellement bien rendues par le travail du photographe que les petits touchent le livre.
C'est sa rencontre avec la directrice de Didier Jeunesse qui lui a permis d'évoluer dans son travail. Elle avait passé près de 25 ans à l'atelier du Père Castor, sans sentir de renouvellement dans son activité - les dessins étant assez académiques.
Pierre-Marie Beaude a dégagé trois moments dans le processus de création. Tout d'abord, il y a l'élément déclencheur de l'écriture, qui peut être une commande. L'auteur a besoin de projeter les personnages à distance, pour pouvoir s'expliquer avec eux et ainsi commencer une histoire. Puis il établit le scénario du roman. Souvent, il écrit les trois premiers chapitres, puis trouve la fin. Cela lui donne des orientations pour écrire le corps du livre. En dernier lieu, il travaille sur les lexiques, les métaphores, les comparaisons (" yeux d'une panthère comme deux lunes qui regardent le monde ") pour créer un monde. Et il vit avec ses personnages, le but est pour lui de créer des personnages qui lui sont proches. Constamment, il récolte des informations (musées, voyages, rencontres…), qui lui servent par la suite pour l'écriture.
De la même manière, Martine Bourre se nourrit de tout ce qu'elle aime (théâtre, jonglage…). Elle conserve tout ce qui peut lui servir : " [cela n'est] pas un problème de trouver des matières, plus de trouver un éditeur ", glisse-t-elle en souriant. Dans son processus de création, le moment le plus jubilatoire est lorsqu'elle est dans le train de retour chez elle, après être passée chez son éditeur pour prendre le texte. Elle établit tout de suite le chemin de fer, illustrations et texte, de son livre.
Les deux invités divergent sur un point. Pierre-Marie Beaude considère que dans la création littéraire, il y a comme une explication avec les zones obscures de la vie de l'auteur. Il a le sentiment parfois, qu'une partie de lui rechigne à se mettre à l'ouvrage et à mettre en lumière certaines zones. Martine Bourre a le sentiment inverse. Elle est constamment en attente d'un travail, c'est un réel besoin. Elle travaille manuellement, recommence si elle n'est pas satisfaite, autant qu'il le faut ; c'est normal. Ses livres prennent une place importante dans sa vie, si bien qu'elle trouve plus simple de vivre dans le monde des livres que dans le monde réel. Quand elle finit un livre, elle ferme un monde clos pour en créer un autre. Pierre-Marie Beaude assimile l'achèvement d'un ouvrage à une dépossession. Il faut laisser voguer le livre devenu grand. L'auteur est de toute manière en décalé avec le lecteur qui lit ce qui vient d'être produit, et non crée. Le créateur de Fleur des neiges a rappelé enfin ce que Michel Foucault disait : " on écrit un livre pour s'en défaire ".
Ce fut une conférence enrichissante dont les invités, qui avaient bien réfléchi à la problématique, ont su intéresser le public en racontant leurs métiers au quotidien de manière réaliste.