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Christian Léourier - A propos de la collection "Les Romans de la mémoire"

Ricochet
3 mai 2003



Collection " Les Romans de la mémoire ", Nathan





Les éditions Nathan ont lancé en 2002 la collection " Les Romans de la mémoire ", des ouvrages de fiction pour les collégiens sur les conflits qui ont marqué le XXème siècle : Première et Seconde Guerres mondiales, Guerre d'Algérie, Guerre de Yougoslavie.
Christian Léourier, responsable de la collection au Ministère de la Défense, nous présente " Les Romans de la mémoire ".





Ricochet - Pour le lancement de cette collection, les éditions Nathan se sont associées à la DMPA (Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives) du Ministère de la Défense. Quelles sont les missions et les actions de cette division du Ministère de la Défense ?

Christian Léourier - La DMPA a, entre autres missions, celle d'entretenir la mémoire des conflits du XXème siècle, en particulier auprès des jeunes. Il s'agit de montrer en quoi la défense d'aujourd'hui, mission des armées mais aussi responsabilité de tous les citoyens, est issue des choix politiques et militaires du passé et des conséquences des ces conflits sur l'évolution de la société.

Ricochet - Concrètement, quel est l'apport de la DMPA dans la conception de chaque roman ?


Christian Léourier - Outre qu'elle a défini le concept général de la collection, la DMPA apporte une expertise historique aux textes. Les auteurs peuvent bénéficier de sa documentation, et une relecture attentive est faite pour contrôler la véracité historique. Les auteurs sont en effet choisis pour leur écriture et non pour leurs connaissances historiques. Ces romans sont de vrais romans, et non des prétextes pour faire un cours, encore moins pour délivrer une vérité officielle.

Ricochet - Le concept de la collection est de traiter l'Histoire sur le mode de la fiction, par le biais de personnages aux destins singuliers dont le lecteur partage l'intimité. Est-ce une façon d'éveiller les jeunes lecteurs à une conscience citoyenne, mieux que ne pourraient le faire les manuels d'Histoire ?


Christian Léourier - Les manuels d'Histoire, c'est leur fonction, exposent les événements dans leur déroulement, à un niveau suffisamment élevé pour qu'apparaissent les mécanismes d'ensemble. En outre l'Histoire se fait, par définition, après coup. Il est aisé aujourd'hui de savoir qu'en 1940 le " bon choix ", c'était de Gaulle et non Pétain. Mais il est important que le jeune lecteur mesure combien ce choix était difficile en 1940.


Seuls le témoignage ou la fiction peuvent rendre compte de la façon dont les événements ont été vécus, quelles étaient les informations dont les gens disposaient, leurs habitudes mentales, et en quoi ces conflits ont fait évoluer les mentalités.


La difficulté est précisément de se replonger dans la vie quotidienne de l'époque : l'évolution a été si rapide, que le contexte moral et social de ces conflits est souvent une découverte pour le lecteur. En mettant en scène des personnages " ordinaires ", ces romans ont pour fonction de l'amener à se demander quels auraient été ses propres choix. C'est en cela qu'ils veulent contribuer à sa formation citoyenne. Non pas en donnant des réponses toutes faites, mais en montrant au contraire combien, en période de crise, les éléments de la décision sont complexes.


A cet égard, Oran 62, de pierre Davy, me paraît exemplaire de ce que la DMPA veut faire : tous les points de vue du drame algérien sont exposés, sans que l'auteur prenne parti.




Ricochet - Parmi les derniers titres parus, le roman d'Yves Pinguilly, Verdun 1916. Un Tirailleur en enfer, évoque le sort des Tirailleurs sénégalais, enrôlés bien souvent malgré eux pour renflouer les rangs de l'Armée française. C'est un sujet qui a longtemps été considéré comme tabou, et de ce fait, très peu traité en littérature. En s'adressant aux collégiens, les " Romans de la mémoire " ont-ils aussi pour vocation de combler certaines lacunes des manuels scolaires ?


Christian Léourier - Les manuels scolaires ne peuvent développer tous les aspects des conflits du XXe siècle. Le roman permet d'en évoquer certains, parmi les moins connus. Il ne s'agit pas de combler une lacune, mais d'éveiller la curiosité en abordant le sujet à travers un prisme particulier.


La DMPA a fait opérer une étude par le CRILJ, pour connaître tous les titres actuellement disponibles dans ce domaine. Cela permet de diriger les auteurs vers les sujets pas ou peu traités.

L'exemple que vous citez permet aussi de rappeler que des Africains sont venus aider la France à sauvegarder sa liberté. Rappel qui n'est pas forcément inutile de nos jours.

Ricochet - Les auteurs de la collection semblent porter un regard personnel sur la période qu'ils évoquent comme s'ils en avaient été le témoin direct ou indirect, est-ce le cas ?


Christian Léourier - Les auteurs ont avant tout été retenus pour leur talent d'écrivain et leur pratique de la littérature pour la jeunesse. Les sujets sont en relation avec le calendrier commémoratif décidé chaque année par le Haut Conseil de la mémoire combattante, instance qui réunit des représentants de l'Etat et des anciens combattants, résistants et déportés. Mais les auteurs sont bien entendu libres de choisir leurs sujets.


Dans la mesure où l'esprit de la collection est de raconter les événements sur le mode de l'intime, ils s'engagent volontiers personnellement. En fait, la plupart s'appuient sur leurs souvenir (C'est le cas de Pierre Davy qui était à Oran au moment des accord d'Evian), ou sur leur histoire familiale (Christian Grenier, Philippe Barbeau, et bientôt Guy Jimenes). Il est par ailleurs des choix qui s'imposent d'eux-mêmes : en faisant appel à Yves Pinguilly pour traiter du sujet des tirailleurs sénégalais, j'étais sûr que ses Africains parleraient comme de vrais Africains, et qu'il saurait montrer en quoi la participation à la guerre européenne avait modifié leur conception des Blancs.

Ricochet - D'un point de vue pédagogique, la collection a-t-elle été conçue dans le but de faire étudier les romans en classe de français ou d'histoire ?


Christian Léourier - Elle est d'abord conçue pour être lue en toute liberté : le lecteur doit prendre plaisir à lire ces romans et acquérir au passage quelques notions d'histoire sans avoir besoin de longues explications. Un cahier pédagogique à la fin du volume lui permet, en cas de besoin, de replacer l'intrigue dans l'Histoire de l'époque.


Mais, bien entendu, elle se prête particulièrement bien à une étude en classe. L'idéal est la pluridisciplinarité. Mais, à défaut, l'un ou l'autre enseignant pourra prescrire ces romans. Nous avons eu en effet le souci de ne pas sacrifier l'écriture à l'exposition des faits historiques, ni l'inverse. Les deux enseignements convergent d'ailleurs sur la problématique qui est celle de la DMPA : partir du passé pour s'interroger sur les engagements du présent.

Ricochet - Quels sont les prochains titres en prévision ?


Christian Léourier - A l'automne paraîtront Les Sabots de Jean-Pierre Vittori, sur la déportation des résistants, et Sous le vent de la guerre, de Pierre Davy, sur la Dissidence, c'est-à-dire le ralliement des Antilles à la France Libre.


Au premier trimestre 2004 seront traités La campagne d'Italie (Guy Jimenes) et l'Indochine (Stéphane Descornes). D'autres auteurs travaillent actuellement sur l'occupation et la résistance, la guerre de 1870 (notre limite inférieure), Sarajevo…