Robert Bigot
Né à Paris en 1933, j’ai vu mon enfance bouleversée par la guerre de 39/45,
ma jeunesse gâchée par la guerre d’Algérie, ma vie d’adulte profondément
marquée par ces deux conflits.
Ingénieur, j’ai pris ma retraite en 1994 au terme d’une carrière
professionnelle heureuse. Parallèlement, mon attachement aux enfants et aux jeunes — à
l’UFOVAL, encadrement de colonies de vacances, maisons familiales, camps
d’adolescents, centres aérés —, m’avait conduit très tôt à écrire pour eux des contes et des
chansons. Encouragé par Mathilde Leriche — qui avait lu quelques-unes de mes nouvelles —, je
lui dois d’avoir entrepris la rédaction de mon premier roman. Sur un thème
historique, Les lumières du matin, ont été couronnées par la Ligue française de l’enseignement.
Cofondateur en 1975 de la Charte des auteurs et illustrateurs pour la
jeunesse — membre du bureau entre 1984 et 1999 —, je suis administrateur et
intervenant au Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse
(CRILJ), auteur sélectionné par La Maison des écrivains et de la littérature dans le
cadre de ses programmes subventionnés “L’ami littéraire ” et “Écrivains dans la cité “, et
intervenant occasionnel en formation au pôle “Métiers du livre” (Médiadix,
université Paris X).
Par des rencontres-débats avec mes jeunes lecteurs et la coordination
d’ateliers d’écriture, du CM2 à la terminale, je m’applique à rester proche du
milieu scolaire, des enfants et des adolescents, en faveur desquels je milite pour une
littérature de qualité, créative et respectueuse des valeurs morales et sociales. Accueilli en
résidence (parfois en partenariat avec des compagnies théâtrales), j’anime aussi des
ateliers d’écriture pour adultes.
Á quel héros et/ou personnage de fiction vous identifieriez-vous volontiers ?
Jacques Vingtras, de Vallès (dont je n’ai pas la dimension…). Don Quichotte (le bretteur absurde, l’utopiste pitoyable).
Quelle utopie seriez-vous prêt à défendre ?
L’idée communiste du XIXème siècle, humaniste et généreuse, chère à George Sand, qui écrivait dans un journal de mai 1848 : « Si par communisme vous entendez le désir et la volonté que, grâce à tous les moyens légitimes et avoués par la conscience publique, l’inégalité révoltante de l’extrême richesse et de l’extrême pauvreté disparaisse dès aujourd’hui pour faire place à un commencement d’égalité véritable, oui, nous sommes communistes et nous osons vous le dire […] »
En dehors de votre approche d’auteur pour adolescents, que rêveriez-vous d’être ?
Mes limites ont été atteintes avec ma participation à la littérature jeunesse. Je ne rêve à rien d’autre, ce serait déplacé et, comme le chanta tonton Georges :
« Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint
Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins ! »
Où écrivez-vous ? Quel est le lieu qui vous inspire le plus ?
Un lieu clos, clair, silencieux, mais ouvert sur la nature, d’où je puisse voir les oiseaux…
Quel est le sentiment qui vous habite le plus souvent ?
L’indignation. Ma devise : « Il faut vivre indigné ! »
Quel genre de livre vous tombe des mains ?
Ceux d’auteurs qui caressent le lectorat dans le sens du poil, écrivent des dialogues de cour de récré pour faire plus juste, ceux dont les révoltes se limitent à celles qu’ils n’ont pas su apaiser dans leur enfance et qui continuent de les bouffer de l’intérieur en tentant de les faire partager à leurs jeunes
lecteurs…
Que redoutiez-vous enfant ?
Les soldats, hommes déguisés pour avoir le droit de tuer.
Vous arrive-t-il de côtoyer des êtres imaginaires ?
Tous les jours : les hommes, les femmes et les enfants de la famille Clarisse dont tous mes livres content la saga, m’habitent complètement.
Que feriez-vous ou diriez-vous à un ogre s’il vous arrivait d’en croiser un ?
Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais, vous avez pensé à votre cholestérol ?
Qu’avez-vous conservé de l’enfance ?
L’attente. L’attente de je ne savais quoi, qui ne vint jamais (sans doute à cause de mon père absent, prisonnier de guerre).
Selon vous, qu’est-ce qui fait vendre un livre ?
La volonté de l’éditeur, maître à bord. Si, de surcroît, le roman plaît aux passeurs et aux lecteurs, le bouche à oreille (et l’oeil à la page…) ont tôt fait de stimuler les ventes.
Quel qualificatif vous colle à la peau ?
Scrupuleux, perfectionniste, rigoureux (bref, un peu enquiquineur sur les bords, avec un petit côté doctoral peut-être agaçant…)
Quelle est la meilleure phrase qu’un adolescent vous ait dite ?
Maintenant que j’ai lu votre histoire, je vais en lire d’autres…
Quelle est votre définition du bonheur ?
C’est une notion très récente, ça, et trop occidentale. Qu’en pensait mon trisaïeul François Raguideau, tailleur de pierres dans la Sarthe entre 1840 et 1890 ? Qu’en pense un enfant squelettique du Sahel qui regarde les adultes avec des yeux qui crient : “Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ?”.
Si vous aviez la possibilité de recommencer, que changeriez-vous ?
Je voudrais avoir eu le courage d’être objecteur de conscience, pour ne pas faire la guerre d’Algérie.
Enfant, quel genre de lecteur étiez-vous ?
Rêveur, appliqué, naïf au point d’avoir l’intense plaisir de croire à ce que racontaient les livres.
Vis-à-vis de quoi vous sentez-vous impuissant ?
L’animalité génétique, cruelle, inexpugnable, de la condition humaine (la bête dans l’homme, qui conduit aux violences, aux guerres, aux exclusions, y compris celle de la femme dans presque toutes les sociétés).
Quel est l’animal auquel vous ressemblez le plus ? Pourquoi ?
Mon “totem” d’Éclaireur de France fut “Écureuil sensible”. Il y a sans aucun doute du vrai dans ce surnom scout.
Quel est le mot que vous préférez dans la langue française ?
Plein. Seulement là, bien sûr, il faut choisir. Alors, par exemple : l’Autre, Fidélité, Solidarité, Courage, Jubilation, Émotion, Tendresse. Larmes.
Que souhaitez-vous que l’on retienne de vous ?
Si possible, ce que j’ai fait de mieux, dont le choix ne m’appartient pas.
Vos livres
Quelle est votre dernière sortie pour la jeunesse ?
“Comme une fleur coupée…”, coécrit avec Françoise Grard ; paru chez Gulf Stream en septembre 2008. C’est ma seconde expérience d’écriture à double clavier, réellement exaltante. (NB : l’histoire n’a pas dû vous plaire, si j’en crois le silence de vos critiques. Á propos du silence, qui donc a écrit : “Il finit toujours par être interprété comme il faut” ?)
Les livres dans votre production dont vous êtes particulièrement fier ou qui vous laissent un souvenir particulier :
Bien sûr “Les lumières du matin” (prix Jean Macé 1974 sur manuscrit) pour dire la Commune aux adolescents. “Une si petite flamme” où s’entremêlent, dans l’enfance d’Hélèna Kolbe, fillette juive allemande, de nombreux traits autobiographiques. “Camille Clarisse”, écrit, pour mettre en garde, “toutes celles qui, pressées d’être aimées, ont fait don de leur enfance au premier venu”. “Le coeur à la renverse”, où se prépare la Révolution de 89 dans un village d’Île-de-France.
Quel est le thème que vous aimez davantage traiter ?
L’histoire. Le désintérêt du passé dont font preuve les adolescents est consternant. Eux qui font l’histoire d’aujourd’hui sans se rendre pas compte qu’ils en sont les acteurs, ignorent tout (ou presque) de ces aînés qui les ont conduits jusque là. Tragique.
D’où est né votre premier livre ?
De deux rencontres : d’un livre d’Henri Grimal “Derrière les barricades”, aux éditions Bourrelier, retraçant l’histoire de Paris révolté, depuis 1789, et plus particulièrement des pages consacrées à la Commune de 1871, d’une part ; et de la lettre que m’écrivit Mathilde Leriche qui avait lu quelques-unes de mes nouvelles : « Vous devriez essayer le roman… » suggérait-elle. Un conseil éclairé qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd…
Quel livre en littérature jeunesse auriez-vous voulu écrire ou réaliser à la place d’un autre ?
“Alice aux pays des merveilles” de Lewis Carroll et “L’opéra de la lune” de Jacques Prévert (en toute immodestie…)
Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?
L’histoire (douloureuse) de Soazig Corvellec, Nantaise de souche, qui traverse la sanglante révolution parisienne de 1848, avant d’être déportée en Algérie.
Où et comment vous voyez-vous dans dix ans ?
Toujours en vadrouille dans les collèges et les lycées, avec encore assez de forces pour rencontrer, débattre et tenter de convaincre les collégiens de l’absolue nécessité de la lecture pour se construire, pour comprendre et se comprendre, se connaître et connaître, donc aimer l’autre.
Références :
Littérature de jeunesse
Un livre pour la jeunesse qui vous a marqué petit ?
”Un bon petit diable”, de la comtesse de Ségur (née Rostopchine …)
Quels sont vos auteurs-illustrateurs de référence ou qui, pour vous, développent une approche intéressante ?
Question piège. Chaque auteur, aussi bien en littérature jeunesse qu’en littérature vieillesse, m’apporte quelque chose que l’autre n’a pas. C’est assez dire que beaucoup, parmi les auteurs de talent, développent “une approche intéressante”. Un cas à part, en littérature jeunesse, Pierre Pelot : il est, je pense, le premier a avoir été accepté par des éditeurs courageux et lucides de l’époque (années 70/80), en racontant des histoires d’adultes, le plus souvent sans même un seul enfant ou ado dans l’intrigue. J’ai tenté de suivre cette voie remarquable, sans succès. Il m’est toujours reproché de ne pas me mettre à la portée des jeunes lecteurs ; ce qui est ridicule : où sont les adolescents
dans les livres qu’on proposent aux élèves dans les programmes scolaires ?
Quels sont vos livres “coups de coeur”, les “incontournables” en littérature de jeunesse ?
“L’ancre de miséricorde”, de Pierre Mac Orlan. “Le pays où l’on n’arrive jamais” d’André Dhotel.
“L’âne Culotte” de Henri Bosco.
"Maria Chapdelaine" de Louis Hémon. Roman d'amour d'une rare pureté, absolument intemporelle…
Culture
Un film, une photo/illustration qui vous touchent ?
Comme ça, au hasard :
- “Le vieil homme et l’enfant” de Claude Berri.
- une photo de couverture de Télérama en septembre 1992, représentant des femmes et des jeunes filles dans un fossé sous un bombardement en Yougoslavie (image bouleversante du visage d’une adolescente en premier plan - quand on est passé par là, bien sûr… sinon, quoi de plus usée qu’une Nième photo de guerre banalisée, n’est-ce pas ?).
- l’atroce multitude des photos d’enfants affamés.
Un musicien
Presque tous puisque j’aime la musique. Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Satie. Mais une tendresse particulière pour Fernando Sor, parce qu’il a été le premier à me donner le plaisir quasi narcissique de jouer sans faute (ou presque) une de ses belles études pour guitare.
Un lieu où vous aimeriez vivre
On m’a si longtemps reproché d’être dans la lune…
Une phrase (une devise) qui vous guide
“Il faut vivre indigné !” (je me répète).
Actualité
Vos dernière (bonnes) lectures ?
“La douane volante”, de François Place (Gallimard Jeunesse - 2010) - “D’autres vies que la mienne”, d’Emmanuel Carrère (P.O.L. - 2009)
Un site (sur les techniques graphiques, un auteur-illustrateur, une approche particulière du texte, de la littérature…) que vous souhaitez recommander ?
Le site rénové et rajeuni du CRILJ renaissant de ses cendres, tenu par André Delobel à Orléans.
Et, sans flagornerie aucune, le vôtre, que je consulte souvent pour le plaisir.