Joanna Concejo
Pascale Pineau : Quel est votre premier titre jeunesse ?
Joanna Concejo : C’est Monsieur Personne paru en 2008 en France, aux éditions du Rouergue, sorti l’année précédente en Italie. Et toujours en 2008 Grand et petit (L’Atelier du poisson soluble). Mes débuts dans la production éditoriale sont liés à des rencontres, des participations à des concours d’illustration... En 2005-2006, j’avais participé au concours des illustrateurs de Bologne.
Pourquoi avoir choisi le dessin ?
C’est venu au bout de quelques années, au départ j’avais envie de tout. J’ai essayé plein de techniques. A la fin de mes études, j’ai fait quelques expositions, des biennales d’art contemporain, des installations. Je m’éparpillais beaucoup et ça ne fonctionnait pas. C’était trop confus. Je me suis aperçue que le dessin au crayon me convenait, que c’était quelque chose de très honnête d’une certaine façon, sans artifices, sans couleur ou presque. J’ai restreint mes moyens.
Parmi les textes que vous avez eu à illustrer, il y a notamment Les cygnes sauvages d’Andersen. De quelle façon ce texte vous a-t-il inspirée ?
J’ai mis énormément de temps à l’illustrer. Je me suis aperçue que c’était très difficile d’apporter quelque chose, sans être dans la redondance. J’ai mis plus d’un an à faire différents essais et puis j’ai démarré avec une image qui a surgi comme ça et qui m’a montré le fil à suivre. J’ai trouvé le personnage, celui de la petite fille avec la robe bombée, et puis la scène où il y a la foule qui condamne Elisa. Cette illustration me renvoie aux tableaux de Brueghel… Pendant ce travail, je n’ai pas cherché à regarder ce qui avait déjà été fait pour ce conte.
Toujours du côté des contes traditionnels, comment avez-vous abordé Le Petit Chaperon Rouge ?
Très différemment, j’ai eu une idée claire dès le départ. J’avais envie de beaucoup de forêt et de raconter cette histoire comme une histoire d’amour impossible. J’ai illustré la version classique du conte. Il y a eu ensuite une traduction française chez Notari. Puis, mes illustrations ont été reprises par une maison d’édition italienne qui a écrit un texte à partir des images. C’était très bien vu.
Et quand il s’agit de travailler sur un texte difficile comme Humo (Fumée en français) ?
Ce texte d’Anton Fortes sur les camps de concentration, quel défi pour moi ! Même si le sujet était difficile, je ne me voyais pas dire non. L’éditeur, espagnol, a lancé une collection avec ce texte, qui avait pour objectif de réunir des livres témoignages, des choses vraies, surtout pas enjolivées. Je me sentais concernée. Je me suis beaucoup documentée, je ne voulais pas partir vers quelque chose de trop poétique.
Quels retours du public face à ce texte ?
Des réactions très soudaines et variées, sur les salons où j’ai pu le présenter. Des gens se mettaient à pleurer, étaient parfois sonnés. En classe, auprès des scolaires, il peut se révéler un bon support pour aborder des questions délicates. J’ai réalisé les illustrations assez rapidement, j’avais envie de refermer ce livre très vite.
Pour aller vers des textes plus poétiques comme L’Ange des chaussures sorti la même année ?
C’est un titre qui m’a également beaucoup touchée. Il parle d’un garçon très seul et d’un ange. L’histoire est tellement émouvante. J’ai réalisé beaucoup de croquis, mais pas forcément en pensant au texte. C’est ma façon de procéder. J’ai plein de carnets. Parfois une image entière surgit, presque comme une apparition. Elle donne le ton, le reste suit.
Vous utilisez régulièrement des papiers anciens, des cahiers, du papier peint... Aimez-vous chiner ?
Oui, j’aime les choses qui ont vécu, sont un peu jaunies, ont des imperfections, ont une part de mystère, me font rêver. Cela vient de mon enfance, ça me parle. Je n’avais presque rien pour dessiner, en dehors du crayon de mon grand-père. Je dessinais sur des papiers d’emballage, des choses qui avaient déjà été utilisées. Quand c’est du papier vraiment blanc, je dois tout apporter. J’ai tout un stock de matériel de récupération.
D’où ces dessins au crayon, qui ont fini par s’imposer ?
Oui, comme je le disais précédemment, j’ai compris à un moment que cela me correspondait. Mon enfance est ma première source d’inspiration. Je viens de la campagne polonaise, d’un village avec une petite épicerie, où la seule chose colorée, c’était la nature qui nous entourait, le jardin de ma grand-mère... Je voyais celle-ci tricoter, effectuer des travaux manuels, ce que l’on retrouve dans certains motifs de mes dessins. La broderie, le tricot font partie des moyens que j’utilise.
Comment voyez-vous vos dessins évoluer ?
A présent, je mets plus de couleur, elle s’étend, gagne du terrain. Petit à petit, je l’apprivoise. Je me laisse toujours mener par le dessin, c’est ma main qui réfléchit, me conduit vers des territoires nouveaux. Je n’arrive pas à penser sans dessiner, j’ai besoin du trait, de croquis... Je fais confiance à mon intuition.
Quels sont vos projets ?
Un livre est en attente ; les illustrations sont faites. Et je travaille sur un livre coécrit, qui sera un recueil de petits textes, pas vraiment illustrés, plutôt des séquences images-textes. Pour moi, écrire, c’est assez difficile. J’ai à peu près deux ans de travail devant moi. J’ai envie d’arriver au bout de tous ces projets commencés, engagés, afin de pouvoir voir et faire un peu le vide.
Pouvez-vous citer des artistes qui vous inspirent, dont vous admirez le travail ?
Il y en a beaucoup... Je peux juste dire qu’il y a de nombreux tableaux et réalisations qui m’accompagnent silencieusement. Je peux citer quand même une artiste que j’aime beaucoup : Françoise Pétrovitch.
05.05.2017
Illustrations de Joanna Concejo