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L'adolecteur: une espèce en voie d'extinction?

Les ados et la lecture 3

Les ados et la lecture 3
Laura Del Nostro
15 novembre 2017

L’adolescence ou la lecture, faut-il choisir ?

«De nos jours, les adolescents sont constamment collés à leurs écrans, à tel point que l’on se demande parfois s’ils savent encore ce qu’est un livre…» A l’heure du numérique, c’est le discours alarmiste qui semble être sur les lèvres de bon nombre de parents inquiets, qui redoublent alors d’efforts pour faire lire leurs chérubins à tout prix. Plusieurs études ont été menées ces dernières années afin de tenter de déterminer la place du livre parmi les autres pratiques culturelles juvéniles, s’attachant à confirmer ce même constat : les nouvelles technologies font de l’ombre à la lecture et expliquent que les jeunes s’en détournent.

L’enquête L’Enfance des loisirs, menée entre 2002 et 2008 auprès de quelques 4'000 jeunes français âgés entre 11 et 17 ans, nous indiquait que la pratique lectorale diminue considérablement au cours de l’adolescence. Si 33% des jeunes de 11 ans déclaraient lire tous les jours, ils n’étaient plus que 9% à 17 ans. Les résultats plus récents de l’enquête conduite en 2016 par l’institut de recherche IPSOS pour le Centre National du Livre [1] semblent indiquer une baisse moins drastique : les jeunes de 7 à 11 ans sont 90% à lire, contre 74% entre 11 et 15 ans et 69% entre 15 et 19 ans. Si les chiffres varient plus ou moins, ils tendent à confirmer un tournant vers l’âge de 12-13 ans. Il n’est pas rare que ces études mettent lecture et technologie en concurrence pour expliquer une telle rupture avec le livre. Si nous nous arrêtons à ces enquêtes, force est de constater que la lecture baisse au profit de l’utilisation de dispositifs électroniques. Mais les écrans sont-ils les seuls fautifs?

Les activités culturelles aujourd’hui destinées aux jeunes sont pléthoriques et ne cessent d’augmenter, obligeant les adolescents à faire des choix. La masse croissante de possibilités ludiques enlève ainsi du temps qui pourrait être consacré à la lecture. Il convient également de préciser que les jeunes sont constamment sollicités à lire dans le cadre de l’école. Or, l’image de la lecture qui en est donnée n’est pas toujours des plus attrayantes. A ce propos, la sociologue Sylvie Octobre parle «d’effet pervers de la scolarisation de la lecture»[2]. En effet, plus les jeunes avancent dans la scolarité, plus on leur demande de rendre des comptes sur ce qu’ils lisent. Cette période durant laquelle le livre est presque exclusivement considéré comme un objet d’analyse marquerait une rupture pour bon nombre d’adolescents[3]. Les jeunes associent dès lors la lecture à une obligation, en négligeant le plaisir que cette pratique peut procurer. Nous passons ainsi de la lecture cadeau à la lecture devoir. Si, de surcroît, le jeune est doté d’un esprit de contradiction qui le pousse fréquemment à cet âge-là à s’opposer à l’autorité, il sera d’autant moins enclin à ouvrir un livre et à trouver cette activité plaisante. En outre, le choix de lectures classiques qui leur est généralement proposé fait parfois débat, car ces œuvres sont ancrées dans une réalité qui ne leur parle pas suffisamment, ne leur permettant donc pas de s’identifier aux personnages et à l’histoire[4].  

Il semble également essentiel de considérer le fait que les habitudes de lecture fluctuent tout au long de la vie, proportionnellement aux autres activités qui nous accaparent. Si nous prenons l’exemple d’un couple de jeunes parents, nous comprendrons aisément que se consacrer à leur nouveau-né est prioritaire sur le temps de lecture. De la même manière, les adolescents traversent une période faite de mille et un chamboulements et questionnements. Cette étape de vie parfois éprouvante leur laisse peu de temps et d’énergie pour se plonger dans les livres En outre, il s’agit d’une phase de construction de leur identité, qui passe dans bien des cas par le besoin de se confronter à leurs pairs et d’échanger avec eux. Ils favorisent ainsi à cet âge-là les activités permettant de créer du lien social, ce qui n’est pas le cas de la lecture qui est une pratique solitaire et d’introversion[5].

S’il est important de s’intéresser aux raisons qui font que les jeunes sont moins réceptifs à la lecture durant l’adolescence, nous apprenons tout de même que 67% d’entre eux liraient davantage s’ils en avaient le temps[6], et qu’ils sont 70% à déclarer aimer la lecture[7]. Ainsi, si les adolescents lisent moins, faut-il pour autant remettre en question leur intérêt pour cette pratique? Autrement dit, peut-être serait-il plus pertinent de se demander s’ils aiment lire, au lieu de chercher à savoir combien ils lisent. Les jeunes sont sollicités de toutes parts, et même les adultes lisent aujourd'hui sans doute moins qu'ils ne le souhaiteraient, submergés que nous sommes par le flux d’information constant d’un monde hyperconnecté. Nous pourrions donc envisager l’idée qu’un lecteur ne se définit pas par le nombre de livres lus, mais avant tout par le goût et le plaisir qu'il éprouve à lire.

Escapade hors des sentiers de la lecture traditionnelle

«Dire que les jeunes n’écrivent pas, c’est considérer uniquement les écritures classiques et légitimes»[8]. Le même constat peut vraisemblablement s’étendre à la lecture, qui a connu lors des dernières décennies un changement de paradigme. Nous sommes passés d’une lecture linéaire et cumulative à une lecture fragmentée[9], ceci pouvant aisément s’expliquer par le fait que nous ayons moins de temps à y consacrer. Parents et enseignants s’étonnent alors que les jeunes rencontrent aujourd’hui des difficultés à lire un texte d’un bout à l’autre. Il est toutefois intéressant de souligner qu’ils développent d'autres compétences qui peuvent s’avérer utiles pour évoluer dans notre ère numérique, notamment le fait d’être multitâches et de pouvoir passer facilement d’un média à un autre. Les jeunes ont donc tendance à privilégier les lectures rapides, principalement les bandes dessinées et les mangas. Or ceux-ci ne sont pas toujours reconnus comme de la lecture en tant que telle, notamment par les parents, qui les somment alors de choisir «de vrais livres». En effet, la bande dessinée a longtemps été considérée comme une source de divertissement infantilisante, le caractère illustré de ce support faisant encore parfois douter de sa légitimité en tant qu’objet de lecture[10]. Nous sommes pourtant plus que jamais dans un règne de l’image qui attire les adolescents[11], il ne faudrait donc pas négliger ce canal de communication. 

Si le numérique ne peut être désigné comme l’unique responsable de la baisse de lecture ces dernières années, il est en revanche indéniable que les technologies modifient également notre façon de lire. Dans les différentes enquêtes sur les adolescents et leurs pratiques lectorales, un aspect est encore trop souvent omis : la lecture numérique. Nous savons qu’il est aujourd’hui possible de lire sur différents supports, dont l’usage est de plus en plus répandu. Children, Teens and Reading, une enquête menée par Common Sense Media en 2014, tient compte de cette variable. Parmi les jeunes de 16-17 ans ayant lu un livre dans l’année, 28% l’ont lu en format numérique. Nous observons en outre qu’1 jeune sur 5 déclare lire davantage pour le plaisir depuis qu’il a la possibilité de le faire sur une tablette. Sachant que les jeunes sont de plus en plus équipés, c’est une pratique qui tendra sans doute à s’intensifier, les lecteurs étant de plus en plus transmédiatiques[12]. D’autres dispositifs numériques se basant sur la lecture nous laissent entendre que ces deux champs sont plus complémentaires qu’on ne le pense. Les sites d’écriture en ligne en sont un exemple, notamment la plateforme Wattpad. Si la qualité des textes de ces adolescents est discutable[13], cette pratique a en tout cas le mérite de désacraliser l’écrit, encourageant ainsi les jeunes à prendre la plume électronique. Le booktubing, dont le contenu reste fondamentalement littéraire en dépit du canal utilisé, en est un autre exemple. En somme, l’interaction entre lecture et numérique semble être bénéfique et ouvre de nouvelles perspectives. Il conviendrait ainsi de prendre en compte les différentes façons de lire et de s’adapter à l’époque dans laquelle ces jeunes évoluent, en tirant profit du potentiel que présentent les nouveaux outils dont nous disposons aujourd’hui.

Et si lire rimait avec plaisir?

La lecture peut accompagner cette période parfois tumultueuse qu’est l’adolescence, en aidant le jeune à identifier ce qu'il traverse, ou à l’inverse, à s'évader des difficultés qu’il rencontre. Si les adolescents n’ont pas le temps ou l'énergie de lire, c’est paradoxalement durant cette période de leur vie qu’ils pourraient en tirer de nombreux bénéfices. Mais si une meilleure image du livre était donnée par l’école et les parents, peut-être choisiraient-ils de lire davantage? Pour avoir envie de lire, il est important d’avoir eu dans son entourage un prescripteur qui s’est efforcé de transmettre son goût pour la lecture. Sans la présence d’une telle personne, il y a moins de chances que le jeune développe un intérêt pour les histoires. L’étude menée en 2015 pour le Centre National du livre[14] montre ainsi que 39% des français qui n’avaient pas de livres chez eux durant leur enfance lisent moins. Nous pourrions ajouter qu’il ne suffit pas de mettre des livres à disposition du jeune, il faudrait s’impliquer,  multiplier les portes d’entrée à la lecture jusqu’à ce que le jeune trouve ce qui lui convient, et exploiter la diversité des outils aujourd’hui disponibles. Il conviendrait de leur proposer des livres qui leur parlent et dans lesquels ils peuvent éventuellement se reconnaître, et ne leur transmettre que des textes que nous avons nous-mêmes aimés, afin d’y mettre toute la conviction et la passion nécessaires. On incite les adolescents à lire, sans leur expliquer en quoi cela peut leur apporter du plaisir. Pourquoi ne pas leur proposer des projets enthousiasmants, par exemple participer au jury pour un prix littéraire tel que le Prix RTS Littérature Ados, ou rencontrer des auteurs en chair et en os? Même si l’adolescence est une période particulièrement éprouvante et que la lecture n’apparaît pas comme une priorité, montrer aux jeunes les bienfaits de la lecture leur permettra plus facilement d’y être sensibilisés et d’y recourir dans le futur. L’essentiel est donc de planter la graine et de l’arroser avec constance et bienveillance, car elle pourrait bien germer plus tard.

Mais avant tout, cessons de mettre la pression à ces jeunes pour qu’ils lisent à tout prix et replaçons la notion de plaisir au cœur de nos préoccupations… Sans doute liraient-ils plus volontiers!

Laura Del Nostro est bibliothécaire scolaire.

[1] IPSOS, 2016. Les jeunes et leur rapport aux livres et à la lecture en 2016. Ipsos [en ligne]. 2016.[Consulté le 10 juillet 2016]. Disponible à l’adresse : http://www.ipsos.fr/communiquer/2016-06-28-jeunes-et-leur-rapport-aux-livres-et-lecture-en- 2016

[2] COCQUET, Marion, 2012. La lecture, passe-temps inavouable ? Le Point [en ligne]. 11 septembre 2012.  [Consulté         le           2            juillet   2016]. Disponible      à l’adresse :  http://www.lepoint.fr/culture/la-lecture-passe-temps-inavouable-11-09-2012-1504778_3.php

[3] LE GOAZIOU, Véronique. Les lecteurs précaires : des jeunes exclus de la lecture? Paris : L’Harmattan, 2006. Débats jeunesses. ISBN 2-296-01601-4

[4] LEUSSE-LE GUILLOU, Sonia de [dir. de la rédaction], 2016. Pourquoi les jeunes liraient-ils encore aujourd’hui ? Lecture Jeune. Mars 2016. N°157.

[5] LE GOAZIOU, Véronique. Op. cit.

[6] IPSOS, 2015. Les Français et la lecture. Centre national du livre [en ligne]. 2015. [Consulté le    3 juillet              2016]. Disponible à l’adresse : http://www.centrenationaldulivre.fr/fr/ressources/etudes_rapports_et_chiffres/les_francais_et_la_lecture/

[7] IPSOS, 2016. Op. cit.

[8] LEUSSE-LE GUILLOU, Sonia de [dir. de la rédaction], 2017. Les préadolescents. Lecture Jeune. Mars 2017. N°161.

[9] COCQUET, Marion, 2012. Op. cit.

[10] MEON, Jean-Matthieu, 2015. Bande dessinée : une légitimité sous conditions. Informations sociales. Juillet-Août 2015. N°190.

[11] LEUSSE-LE GUILLOU, Sonia de [dir. de la rédaction], 2017. Op. cit.

[12] LEUSSE-LE GUILLOU, Sonia de [dir. de la rédaction], 2016. Op. cit.

[13] MANILEVE, Vincent, 2015. Les adolescentes ont raison d’écrire des romans à l’eau de rose sur internet. Slate.fr [en ligne]. 3 août 2015. [Consulté le 6 juillet 2016]. Disponible à l’adresse : http://www.slate.fr/story/104671/wattpad-adolescentes-romans

[14] IPSOS, 2015. Op. cit.