Jean-Philippe Arrou-Vignod: «J’espère avoir encore devant moi plein de livres à faire.»
Auteur de plus de 50 ouvrages pour la jeunesse et pour les adultes, Jean-Philippe Arrou-Vignod est également directeur de collection chez Gallimard jeunesse. Son dernier livre dans la série des «Histoires des Jean-Quelque-Chose», inspirée de son enfance, vient de paraître aux éditions Gallimard jeunesse. Rencontre.
Nathalie Wyss: Votre dernier livre Un petit pois pour six dans la série des «Histoires des Jean-Quelque-Chose» vient de paraître. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?
Jean-Philippe Arrou-Vignod: J’y retrouve ma petite famille dans ses premières années, à Cherbourg. C’est toujours un bonheur de me replonger dans mes souvenirs d’enfance, revisités avec la liberté du romancier. Chaque chapitre en ranime de nouveaux. Mais en même temps, à mesure que j’avance, c’est comme si la part autobiographique se dissolvait de plus en plus dans la fiction. Même Jean-B., le narrateur qui ressemble tant à l’enfant que j’ai été, est devenu pour moi un personnage!
D’autres tomes sont-ils prévus?
Les six tomes qui ont suivi le premier étaient tout à fait imprévus! Jamais, en écrivant L’omelette au sucre, je n’aurais pu imaginer que j’entamais une série qui m’accompagnerait tant d’années. Alors, y en aura-t-il un huitième? Il me semble que j’ai encore plein d’anecdotes à raconter sur les frères Jean. Mais la disparition récente de Dominique Corbasson, la délicieuse illustratrice qui a donné un visage à mes petits personnages, me laisse dans le désarroi. Difficile, pour l’instant, d’imaginer poursuivre sans elle.
Vous venez également de publier, chez Gallimard, Vous écrivez? : le roman de l’écriture, un livre où l’on découvre avec intérêt vos conseils en matière d’écriture, votre savoir-faire et la façon dont vous travaillez. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre?
Depuis quelques années, j’anime un atelier d’écriture à la NRF. Cela m’a donné l’occasion de réfléchir sur ma pratique et sur la façon dont j’aborde les difficultés techniques de l’art du roman. Il m’a semblé que cela pouvait devenir un livre, le livre que j’aurais aimé lire lorsque je débutais dans l’écriture et que je cherchais conseils et éclairages.
Je n’essaie pas d’y donner des recettes, ni de dire comment il faut faire. Chacun a sa manière, ses habitudes. J’essaie seulement de montrer ce qui peut se passer dans la tête d’un romancier lorsqu’il écrit, et la façon dont il tente de résoudre les mille et un problèmes que pose l’exercice de la fiction. J’espère que l’apprenti écrivain y trouvera quelques clés qui l’aideront.
Votre album, paru en automne dernier, Le prince Sauvage et la renarde, est une véritable ode à la nature et aux animaux. Comment est née cette histoire? Et quel est votre rapport à la nature?
J’avais depuis longtemps envie d’écrire un conte. C’est la forme la plus pure du récit, la plus simple et la plus exigeante aussi. Le thème s’est peu à peu imposé à moi: quel est notre rapport au monde qui nous entoure? Celui d’un prédateur, tel le prince Sauvage, qui ne sait que chasser, tuer et détruire la vie qui l’entoure?
Pris au piège de sa propre violence, le prince, cet enfant roi, va apprendre à contempler et à respecter la nature sur laquelle il voulait régner.
Que vous apporte votre métier d'éditeur en tant qu'écrivain? Et, vice versa, votre activité d'écriture influence-t-elle votre vision de l'édition?
J’apprends beaucoup sur l’écriture par mon métier d’éditeur. J’y découvre des auteurs talentueux, des voix, des tons qui enrichissent inconsciemment la mienne, comme le fait toute lecture. Mon expérience d’auteur, quant à elle, me donne un regard plus technique sur les manuscrits que je lis. Pour m’être confronté aux mêmes difficultés, aux mêmes impasses quelquefois, j’ai l’impression de mieux pouvoir aider les écrivains que j’accompagne en leur proposant des pistes de travail qui pourront les aider à mieux aboutir leur œuvre.
Abordez-vous différemment une histoire si elle est destinée à un public adulte ou jeunesse?
C’est le même investissement d’écrire pour les adultes ou pour la jeunesse. L’un n’est pas plus difficile que l’autre. La différence tient au regard que l’on porte sur l’histoire que l’on veut raconter. Quand j’écris un roman jeunesse, j’ai de nouveau dix ans. Ce n’est pas une posture, ni un effort dans le but d’écrire pour… J’ai vraiment dix ans, je pense, je regarde, j’éprouve en enfant de cet âge.
À ceux qui disent que la littérature jeunesse n’est pas de la littérature, que répondez-vous?
Qu’il ne la connaissent pas. Ils n’ont pas lu Roald Dahl, François Place, Michael Morpurgo, Timothée de Fombelle, Malika Ferdjoukh, Jean-Claude Mourlevat et tant d’autres.
Que faites-vous lorsque vous bloquez sur une histoire?
C’est un peu comme le mot sur le bout de la langue. Plus on le cherche, plus il se refuse.
Quand je suis bloqué dans une histoire, j’éteins mon ordinateur et je fais autre chose. Cela peut durer plusieurs jours, parfois, plusieurs semaines… Mon imagination doit continuer à travailler en tâche de fond, sans que je le sache, car un matin, brusquement, tout s’éclaire. J’ai trouvé ma suite, débrouillé une intrigue trop enchevêtrée ou découvert la fausse piste sur laquelle je m’étais égaré.
Quel livre repose sur votre table de chevet en ce moment?
Le dernier roman de Jean-Claude Mourlevat, Jefferson. Un régal de drôlerie, de noirceur et de tendresse.
Si ce n’est pas trop indiscret, sur quoi êtes-vous en train de travailler?
J’ai commencé une expérience tout à fait nouvelle pour moi: un roman à quatre mains. Mon coauteur est un ami très cher et un écrivain remarquable. Comme nous n’en sommes encore qu’au début, je préfère taire son nom, par superstition.
Mais c’est magique de se couler ainsi dans l’imaginaire d’un autre, de partager une histoire, des personnages, et d’avancer ainsi main dans la main.
Et pour terminer, quels sont vos rêves pour la suite?
Pour tout écrivain, je crois, pour tout artiste en général, l’oeuvre à venir sera la plus belle. J’espère avoir encore devant moi plein de livres à faire.