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Pont des arts sur le devant de la scène. Interview avec Amélie Léveillé

L'art et le livre jeunesse 2

Damien Tornincasa
1 mai 2018

Pont des arts, qui a fêté ses 10 ans en 2017, est l’une des collections phares de L’Élan vert. Elle compte à ce jour une cinquantaine de titres et s’enrichit de cinq nouveautés par an.


Damien Tornincasa: Amélie Léveillé, pouvez-vous nous raconter, en quelques mots, comment la collection est née?
Amélie Léveillé: Pont des arts est le fruit d’une rencontre en 2006 avec Hélène Kérillis. Cette auteure, passionnée d’art, avait déjà écrit des fictions à partir de peintures. Nous avons fait évoluer le concept en invitant des illustrateurs qui pouvaient apporter, à une histoire contée, leur propre regard sur les œuvres d’art choisies.
En 2007 sont sortis les deux premiers titres écrits par Hélène: La Magissorcière et le Tamafumoir (Miró), illustré par Vanessa Hié, et Un oiseau en hiver: Pieter Bruegel (Bruegel l’Ancien) illustré par Stéphane Girel.
La collection s’est ensuite installée et a pris son rythme de croisière avec environ 5 nouveaux titres par an.

Premiers albums

Le nom «Pont des arts», en plus d’être un clin d’œil à un fameux pont parisien, évoque l’idée de liens tissés entre le jeune lecteur et les arts. En quoi est-ce essentiel, selon vous, de sensibiliser les enfants à l’art?
Pour les ouvrir au monde et éduquer leur regard: l’art est partout, sous toutes les formes, qu’on le cherche ou qu’il soit donné à voir. Dans la rue, les musées… N’importe où et n’importe quand…

Trois raisons de parler d’art aux enfants:

S’émouvoir. Un tableau n’est pas destiné à être expliqué ou à être beau mais à faire naître des émotions chez celui qui le regarde. Il ne s’agit pas de comprendre, mais de ressentir. Beau ou pas beau, chacun ses goûts; l’intérêt d’une œuvre – étrange, dérangeante – est d’être touchante.

Se confronter à d’autres représentations du monde. Regarder une œuvre c’est se confronter à d’autres manières de représenter les choses, l’esprit libre. Les artistes élargissent notre regard.

Se forger une culture commune. L’art relie les hommes. C’est une passerelle entre les lieux et les âges, entre les uns et les autres. Les œuvres patrimoniales permettent de poser des repères dans sa propre culture, de construire son identité.

Le principe de la collection est de faire entrer le lecteur dans une œuvre d’art (peinture, sculpture, photographie, affiche, musique, etc.) par le biais d’une histoire inventée. Pourquoi avoir préféré la fiction au documentaire? Quels sont les avantages d’une telle approche?
C’est un parti pris, nous avons préféré la fiction, une approche sensible des œuvres qui fait appel à l’imagination. Le récit illustré véhicule des émotions et créé ainsi une complicité entre le lecteur et l’œuvre. Nous n’abordons pas l’œuvre dans son contexte, ce qui serait la démarche d’un documentaire. Pont des arts est une collection récréative, avec des histoires fortes et des illustrations nourries des œuvres d’art qui les ont inspirées. L’œuvre est présentée à la fin des ouvrages, avec une partie documentaire pour répondre à la curiosité des lecteurs.

Qui sélectionne ces œuvres d’art connues qui constituent le point de départ des albums? Et selon quels critères?
L’équipe éditoriale de L’Élan vert choisit les œuvres avec un regard d’éditeur jeunesse; ce choix est intimement lié à la fiction. Nous privilégions des œuvres «narratives», riches d’images dans les styles figuratifs ou abstraits. Les œuvres abstraites sont des fenêtres sur l’imaginaire qui conviennent parfaitement aux plus petits.
Nous travaillons à l’ouverture de la collection à toutes les formes artistiques: photographie (Doisneau), musique (Vivaldi), sculpture (Camille Claudel), littérature, cinéma, arts du spectacle, patrimoine, design, arts numériques…
Une exposition ou un anniversaire peut aussi «précipiter» le choix d’un artiste.
Les visites dans les musées sont aussi à l’origine des projets! Au musée d’ethnographie de Genève, j’étais seule pour la visite guidée alors j’ai demandé au conférencier de devenir conteur: il a choisi des œuvres porteuses d’histoires et le voyage à commencé: la Chine, avec des souliers brodés de femmes Mandchoues, puis le Japon, avec une armure de samouraï, jusqu’à l’Equateur, avec une tête réduite et enfin l’Australie avec le projet «Ghost Nets», ces animaux sculptés dans des filets de pêche… Cette expérience m’a convaincue d’ouvrir la collection sur les peuples et cultures du monde.

Un album de la collection Pont des arts, c’est une rencontre de trois artistes d’univers et d’époques différents: il y a l’auteur du texte, l’illustrateur et l’artiste auquel l’album fait référence. Comment se forment ces trios?
Cette collection est un lieu d’échange au sein de L’Élan vert avec Chloé Laborde, éditrice, et Dominique Buisine (ancienne responsable éditoriale du CRDP Aix Marseille). L’équipe éditoriale a des envies, tout comme les auteurs et les illustrateurs. Au gré des conversations et des rencontres, nous percevons les affinités des auteurs et illustrateurs avec les artistes. Nous pouvons rebondir sur les propositions d’auteurs et illustrateurs ou partir du travail d’un illustrateur et faire un lien avec un artiste.

Parmi la riche production de la collection, pouvez-vous nous présenter les titres qui ont connu le plus grand succès? A combien d’exemplaires se sont-ils écoulés?
La grande vague (sur Hokusai, par Véronique Massenot et Bruno Pilorget) est l’un de nos plus grands succès. Il a été vendu à plus de 15’000 exemplaires et la demande reste constante.
Ensuite viennent Petit Noun, l’hippopotame bleu des bords du Nil (sur la figurine égyptienne de l’hippopotame), Le Chat et l’oiseau (inspiré de Paul Klee) à plus de 12'000 exemplaires. Puis Le gardien de l’arbre (Klimt) et L’ours et la lune (Pompon) à plus de 10’000 exemplaires.

Noun

Les livres sont publiés en collaboration avec le Réseau Canopé. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le fonctionnement de ce partenariat?
L’Élan vert édite les albums et Canopé édite les dossiers pédagogiques dédiés à l’accompagnement des albums pour le travail des enseignants dans leurs classes. La collaboration s’est enrichie d’échanges au fil des ans et a nourri la planification de la collection autour d’œuvres du programme  et du patrimoine artistique et culturel.

Les albums peuvent-ils être lus par les enfants de manière indépendante ou nécessitent-ils parfois l’intervention d’un médiateur? A quelle tranche d’âge sont-ils destinés?
Non, il ne faut pas de médiateur pour entrer dans l’album, ce n’est pas le but. C’est une histoire avant tout. Cela reste une collection récréative.
A la fin de l’histoire, nous apportons des informations qui permettent de replacer l’œuvre dans son contexte et de répondre à la curiosité des enfants. Les médiateurs qui affectionnent particulièrement cette collection auront des outils pour partager tout le potentiel de l’album.
Selon les fictions, les thèmes abordés et les artistes, les albums s’adressent à des enfants de 3 à 12 ans.

A ce jour, cinq titres de la collection (La grotte des animaux qui dansent, Quatre-Saisons Circus, Le casque d'Opapi, L’ours et la lune, Le gardien de l’arbre) disposent d’une version eBook. Quels enrichissements permet le numérique? Envisagez-vous de développer cet aspect dans le futur?
En effet, à partir de 2015, la collection Pont des arts s’est déclinée en livres numériques interactifs. Cette nouvelle aventure éditoriale est partagée avec Canopé ARA (Auvergne – Rhône-Alpes) qui collabore avec le studio d’animation Folimage, dans la Drôme.
Nous avons mis l’accent sur l’accessibilité. D’une part par la lecture via une police «dys» adaptée aux enfants en difficulté de lecture, et d’autre part, grâce au savoir de Canopé ARA, nous proposons une lecture en audiodescription pour les deux derniers ebooks.
Le numérique permet une immersion sonore avec lecture contée et ambiance sonore (musique et bruitage), et également une interaction avec les images grâce à des animations.

Gardien de l'arbre

On dit que l’art rend curieux. Et on doit bien avouer que la curiosité est l’un de nos nombreux défauts. Oserions-nous vous demander ce que vous nous avez concocté pour les mois à venir?
Cet été, ce sera au tour de la Vénus de Willendorf de rejoindre la collection avec l’album intitulé La Vénus de pierre, puis un album sur l’univers de Gaudi en septembre et un autre sur le peintre Raphaël en novembre.
En 2019, attendez-vous à redécouvrir Les Glaneuses de Millet, jouer avec le Street art et voyager avec Frida Kahlo….

L’année 2018 marque les 20 ans d’existence de L’Élan vert. Comment comptez-vous fêter ce bel anniversaire? 
Nous commençons par une opération en librairie: nous invitons petits et grands à jouer avec la grande famille de L’Élan vert. Un anniversaire placé sous le signe de l’humour car rien n’est plus important que de savoir rire et qu’il faut profiter de tous les petits bonheurs que la vie nous procure.
D’autres surprises arriveront au cours de l’année, il faut nous suivre sur notre page Facebook ou sur Twitter
Il y aura aussi des dédicaces de nos auteurs, des ateliers, des rendez-vous sur des salons jeunesse tout au long de l’année, des expositions, des rencontres avec des libraires…
Nous voulons vraiment être présents et au contact de tous ceux qui font notre raison d’être un éditeur jeunesse et nourrissent notre réflexion au quotidien: nos auteurs et illustrateurs, les libraires, les bibliothécaires, les enseignants, les passeurs d’histoires, les petits et grands lecteurs… Nous voulons du partage, du rire, de l’émotion!

Page des 20 ans de L’Élan vert
Site Internet de L'Élan vert
Site Internet de Pont des arts

Finissons, si vous le voulez bien, sur une note un peu plus personnelle. Amélie Léveillé, si vous deviez être une œuvre d’art, laquelle seriez-vous? Pourquoi?
Le mur recouvert d’œuvres de Ben à la Fondation du doute à Blois.

Parce que «[…]douter, c’est créer», mais aussi parce que «l’art est partout».

Ben