Littérature jeunesse et dyslexie: quand les éditeurs s’engagent
Depuis quelques années, on voit apparaître sur les rayons des librairies et des bibliothèques des collections de livres jeunesse adaptées aux lecteurs présentant des troubles «dys». Ces collections, qu’elles se nomment Dyscool (Nathan), Colibri (Belin Jeunesse), DYS (Castelmore), Délie mes mots (Auzou) ou encore Flash Fiction (Rageot), sont toutes mues par la même envie: permettre au plus grand nombre de jeunes lecteurs d’accéder à une littérature contemporaine de qualité et leur prouver qu’on peut prendre du plaisir à lire!
Après une brève introduction, cet article vous proposera des interviews de plusieurs éditeurs jeunesse francophones qui se sont lancés dans cette aventure.
Introduction
La dyslexie est un trouble du langage qui touche aujourd’hui environ 8 à 10% de la population[1]. Pour les enfants concernés, le cerveau ne peut pas automatiser les processus communément impliqués dans la lecture. Aussi, ils rencontrent des difficultés dans l’acquisition et dans l’automatisation des mécanismes nécessaires à la maîtrise de l’écrit (difficulté à lire, à écrire et à assimiler l’orthographe). Devant les efforts que les enfants dyslexiques doivent fournir pour lire, il est fréquent qu’ils finissent par trouver des stratégies d’évitement pour, justement, ne pas avoir à lire.
Or, si l’on ne guérit pas de la dyslexie, il est possible de trouver des moyens de compenser ce trouble. C’est là-dessus que les éditeurs jeunesse se sont penchés. En travaillant étroitement avec des spécialistes de différents domaines (orthophonistes, chercheurs en sciences du langage ou encore informaticiens), ils ont développé tout une gamme de livres – papier comme numériques – qui répondent aux besoins de ce public spécifique. Même si, en créant des collections «dys», les éditeurs défendent un objectif commun – celui de rendre la lecture plus aisée pour tous –, leurs lignes éditoriales et les collaborations qu’ils nouent avec leurs auteurs sont très différentes de l’un à l’autre. Pour en savoir plus, nous avons donc rencontré trois éditeurs qui publient des livres adaptés aux lecteurs dyslexiques: Nathan, Castelmore et NLA Créations.
Interview de Mélanie Decourt, directrice éditoriale Fictions et Découvertes chez Nathan
Hélène Dargagnon : Depuis quand la collection Dyscool existe-t-elle?
Mélanie Decourt : L’offre Dyscool chez Nathan est double. Elle comporte une offre numérique, lancée fin 2016, et une offre de livres papier, lancée en juillet 2017.
Pour créer cette collection, avez-vous collaboré avec des spécialistes du langage? Si oui, comment les avez-vous contactés?
Nous avons collaboré avec Mobidys, une start-up nantaise fondée par deux femmes, une orthophoniste et une professionnelle du numérique.
Mobidys est experte en accessibilité cognitive et avait développé des livres numériques pour les dys. La start-up travaille étroitement avec un laboratoire de traitement informatique du langage et teste régulièrement ses outils de compensation et de personnalisation auprès d’enfants et d’orthophonistes. En 2015, nous les avons contactées pour nous accompagner dans le développement de nos versions numériques Dyscool. Cette association s’est révélée fructueuse, Nathan apportant la qualité de ses textes et son savoir-faire éditorial et graphique, Mobidys son expertise scientifique et technique. Nous avons donc décidé de les solliciter de nouveau lors de notre réflexion sur les livres papier Dyscool.
Nous avons également collaboré avec Cécile Zamorano, une orthophoniste avec laquelle nous avons l’habitude de travailler chez Nathan
Quels sont les points forts de la collection Dyscool?
La philosophie du label Dyscool de Nathan est l’inclusion: nous proposons aux enfants et ados dyslexiques les mêmes livres qu’aux autres enfants, et non pas des livres écrits spécifiquement pour eux. Nous avons sélectionné des best-sellers, des livres qui plaisent, qui sont lus à l’école ou à la maison. C’est un parti-pris très fort pour nous, qui permet de ne pas exclure ou stigmatiser les dyslexiques. Cette collection s’adresse aux enfants dyslexiques en priorité, mais elle peut être un élément déclencheur pour tous ceux qui ont des difficultés de lecture au sens large.
Ensuite nous avons fait pour chaque roman un travail d’adaptation très précis et très minutieux pour rendre les textes faciles à lire pour ce public particulier. La dyslexie prend des formes très variées, il y autant de formes de dyslexie que d’enfants dyslexiques, il a donc fallu faire des choix pour être efficaces pour le plus grand nombre. La collaboration avec Mobidys et des orthophonistes a été très précieuse pour prendre les bonnes décisions!
L’adaptation a pris plusieurs formes:
- L’objet-livre: le papier est mat et ivoire pour un confort de lecture maximum.
- La mise en page: c’est le cœur du sujet, pour que la lecture soit confortable et facilitée. La liste serait trop longue, mais à titre d’exemples: nous avons adapté la police, l’espace entre les mots, les lignes et les lettres, travaillé sur le nombre de mots par ligne, le nombre de lignes par double page, le lien entre le texte et l’image, coloré les syllabes des mots longs, ajouté des codes pour signifier les personnages dans les dialogues, des repères pour savoir où l’on en est dans l’ouvrage, etc.
- Le texte: c’est un exercice d’équilibriste, pour à la fois adapter et ne pas dénaturer le texte. Dans les romans longs pour ados, nous avons laissé le texte original sans aucune modification, mais nous avons explicité tous les mots et toutes les expressions difficiles dans le contexte (en veillant à ce que les définitions soient faciles à lire et à comprendre!). Dans les textes plus courts, pour le niveau école élémentaire, nous avons explicité les mots ou passages complexes soit en demandant à l’auteur de les réécrire, soit en donnant des définitions simples en bas de page.
Dans tous les ouvrages, nous avons une présentation des personnages au début pour poser le cadre, et un sommaire à cocher pour mesurer la progression dans le roman.
Tout au long de ce travail sur les ouvrages, nous cherchons à nous adapter au plus grand nombre d’enfants et à ce que ces béquilles ne se voient pas, pour que cela reste un roman et non pas un manuel. L’important pour nous est de susciter le plaisir de lire, de donner confiance sans stigmatiser.
Que permet l’offre numérique diffusée en parallèle?
L’intérêt du numérique est que chaque usager peut adapter les paramètres en fonction de sa propre dyslexie et de ses progrès. C’est un énorme atout: c’est l’enfant ou l’ado qui décide des aides dont il a besoin.
L’offre numérique Dyscool propose des Ebooks à lire sur tablette (iPad ou Android). Tous les livres intègrent une palette d’outils de lecture: aération du texte, choix de la police et du corps, colorisation des lettres ou de la ponctuation, colorisation des phonèmes ou des syllabes, fenêtre de lecture, contraste, marque-ligne, soutien audio, dictionnaire, etc.
Chaque lecteur peut personnaliser la palette selon ses besoins, son âge, son trouble, et changer à tout moment.
Quel est le retour donné par les lecteurs dyslexiques sur la collection Dyscool?
Les retours sont excellents, les enfants sont conquis et les parents nous écrivent pour dire que leurs gamins ont lu les romans avec joie, alors que jusque-là la lecture était une souffrance pour eux… Les enseignants les utilisent aussi et cela fonctionne. Par ailleurs, Dyscool a été lauréat du prix OCIRP Handicap 2017 dans la catégorie parcours scolaire et enseignement, ce qui est une belle reconnaissance!
Pouvez-vous donner des informations sur les chiffres de vente?
Les livres papier se vendent au-delà de nos premières espérances, preuve que nous touchons avec succès les familles dyslexiques (avec sans doute un très bon bouche-à-oreille), mais aussi les enfants qui ont des difficultés de lecture au sens large. Cela nous encourage à continuer!
Rencontre avec les éditions Castelmore
Hélène Dargagnon : Depuis quand la collection DYS existe-t-elle?
Castelmore : La collection a été lancée fin 2015, et, à raison de 3-4 titres par an, elle comprend à ce jour une dizaine de titres: Comme un poisson dans l’arbre, 14-14, Niourk, Un ogre en cavale, Adèle & les noces de la reine Margot, Aussi libres qu’un rêve, Les lettres volées, 42 jours, L’effet Matilda, Minecraft officiel – L’île perdue et Parles-tu chocolat?. Le prochain titre à paraître est Minecraft officiel – Le choc, prévu pour novembre.
Pour créer cette collection, avez-vous collaboré avec des spécialistes du langage? Si oui, comment les avez-vous contactés?
Pour créer cette collection, les éditions Castelmore se sont associées avec La Plume de l’Argilète. Il s'agit d'une association, constituée essentiellement de professionnels de la santé et de l'éducation, spécialisée en édition adaptée. La Plume de l'Argilète réalise entre autres des ouvrages adaptés aux lecteurs dys depuis 2013, suite à deux années de recherches et de tests. Nos pratiques continuent d'évoluer, au fur et à mesure des échanges avec les enfants dys (et leurs parents), des conseils de professionnels (notamment orthophonistes et neuropédiatres, mais aussi professeurs) extérieurs à l'association, mais aussi des études menées ces derniers mois autour des troubles dys.
Quels sont les points forts de la collection DYS?
La collection DYS était la première collection de romans pour ados, à un moment où seuls étaient proposés des albums ou des petits romans pour de plus jeunes lecteurs. Par ailleurs, sa spécificité et sa force est de proposer des récits en double édition: une édition «standard» et une édition adaptée pour les lecteurs dyslexiques ou ayant des difficultés de lecture. Les textes ne sont pas écrits spécifiquement à destination des lecteurs dyslexiques car l’idée est justement de ne pas stigmatiser les lecteurs dys, mais plutôt de leur permettre d’accéder aux mêmes livres que leurs amis, de proposer les auteurs et les romans auxquels on croit. Cette adaptation consiste en une adaptation de la maquette (texte au fer à gauche, travail sur les coupes en fin de ligne, typo adaptée, etc.) et également du texte – en veillant à ce qu’il reste très proche du style initial de l’auteur.
Quel est le retour donné par les lecteurs dyslexiques sur la collection DYS?
Les retours sur la collection sont excellents, de la part des jeunes lecteurs comme des prescripteurs (enseignants, responsables de CDI et bibliothécaires notamment). Le retour qu’on entend le plus souvent est que la collection permet de se réapproprier la lecture. Le livre n’est plus un obstacle mais permet d’accéder au récit.
Pouvez-vous donner des informations sur les chiffres de vente?
La collection se fait peu à peu connaître et croît tranquillement.
Envisagez-vous une version numérique des romans DYS?
Les romans DYS sont déjà proposés en version numérique, à la même date que la version papier.
Nicole Riedinger, directrice éditoriale de NLA Créations, nous présente sa démarche éditoriale
Les éditions NLA créations ont été créées en 2010 avec notre tout premier magazine.
Il s’agissait alors de regrouper les idées créatives de Nicole et Anne, respectivement ATSEM et enseignante, dans un ouvrage destiné aux écoles. C’est seulement en 2015 que nous avons commencé à éditer des albums illustrés, qui proposent une police adaptée aux dyslexiques.
Le premier magazine donne naissance à Nougatine la Lapine Artiste. Elle devient rapidement mascotte de la maison d’édition. Personnage bricoleur et soucieux de son environnement, elle est rejointe par différents amis: Pépite le singe voyageur, Gasparino le hamster d’Alsace, Violette la vache amoureuse des fleurs, Biscotte la petite souris, Bleuet le pingouin chef cuisinier, Pralin le rêne aux belles histoires et finalement Mentalo et ses histoires de temps anciens.Tous ces personnages donnent le «La» aux histoires racontées par nos auteurs et illustrateurs.
Chacun de nos livres a une visée pédagogique. Nous ajoutons toujours une partie documentaire pour pousser un peu plus loin l’histoire. Le livre n’est plus une simple histoire mais une véritable source de connaissances.
Entreprise familiale, nos actions se sont faites naturellement en utilisant les connaissances et les atouts que représentent notre environnement. Les lecteurs dyslexiques sont touchés par la diffusion de tels ouvrages adaptés. Ils semblent avoir plus de facilités à lire et à relire nos ouvrages.
Nous avons adopté la typographie Open dyslexic suite à des demandes de parents d’enfants dys. Cette typographie est le fruit de recherches pour l’amélioration de la lecture chez les dyslexiques. Elle représente un véritable outil utilisable et téléchargeable gratuitement sur www.opendyslexic.org.
Pour en savoir plus sur la dyslexie
www.ffdys.com
www.dys-positif.fr/dyslexie
www.dysmoi.fr
[1] http://www.dysmoi.fr/troubles-dapprentissage/dyslexie-dysorthographie/la-dyslexie-qu-est-ce-que-c-est/