On va où ? / On va où ?

Sur la couverture d’un beau bleu-vert sombre, un ours pointe son nez. Est-ce lui qui pose la question du titre ? A l’intérieur, une carte muette lie le Groenland et un point indéterminé entre la Sicile et la Sardaigne. Suit un poème de Danièle Fossette. Il parle de « terre de glace » effondrée et on identifie tout de suite le locuteur qui s’exprime à la première personne : c’est bien l’ours ! Est-ce lui qui « dérive loin... si loin » de l’hémisphère nord vers le sud ?

Alors que revient comme une interrogation douloureuse « on va où ? », le récit se poursuit tout en dessins gris et blancs, évoquant des images étranges et poétiques comme celle de l’ours endormi sur son iceberg, profondément ancré dans l’eau. Le réveil laisse place à l’interprétation : se sent-il prisonnier de son rocher flottant ? Découvre-t-il les arbres avec émotion ? Avance-t-il jusqu’à la limite de ses forces ? On peut le croire, en le voyant les yeux mi-clos. Au milieu de l’album, comme dans un kaléidoscope, les images se dédoublent et l’ours s’emboite, nez à nez, avec un jeune garçon ; l’un et l’autre, étonnés.

Le lecteur sent alors une tension et abandonne l’ours pour suivre l’enfant, sens dessus dessous. On a du mal à comprendre ce qu'il se passe. Que signifient ces bouleversements, cet enfant sur la tête ? Lorsque le récit s’achève et qu’on referme le livre, on s’aperçoit que sur la couverture d’un beau bleu-vert sombre un enfant pointe son nez. Est-ce lui qui pose la question du titre ? Une carte muette lie l’Éthiopie et un point indéterminé entre la Sardaigne et la Sicile… Un poème… On découvre alors que le récit est double, la dérive vécue par l’ours est également imposée à l’enfant et les images sibyllines prennent sens, l’histoire de l’enfant est celle d’un naufrage.

Deux poèmes à peine différents, deux récits dont les dessins sont poignants et, d’un seul coup, l'auteure et l'illustratrice associent dans une même urgence, une même tragédie, celle des animaux victimes du dérèglement climatique et celle des migrants, victimes du dérèglement politique et social. Le silence du récit impressionne, sa forme en anneau est sans fin, le découpage cinématographique et le montage des images, similaires et différentes à la fois, déchirent le cœur. Un livre tout en douceur sur la violence faite au monde, animaux et humains, unis dans la même souffrance. Les héros dérivent, et nous, « on va où » ?