Si l'on me tend l'oreille

Grouzna tire sa petite roulotte à bras de foire en foire, soutenue par les âmes de trois « mères » qui la protègent. La jeune femme chuchote (« si l’on me tend l’oreille, je parle ») à qui veut l’entendre la façon dont il mourra. Mais le souverain des Trois Provinces décide de sédentariser la population, et d’assigner à chaque métier une province d’habitation. Grouzna ne peut s’y résoudre. Elle rencontre d’autres nomades aux vies étranges et cabossées comme la sienne : un forain et son manège, une coiffeuse ambulante, une petite fille voltigeuse, etc. Ensemble, ils vont tenter d’échapper aux règles.

Le roman peut parfaitement se lire avec un début, une fin, des péripéties, un sens. Il invente un monde et une gouvernance plausibles, greffe le surnaturel à l’historique, mais pas trop loin non plus. Ce serait toutefois perdre sa saveur lyrique, sa poésie des mots et des personnages, que de vouloir le « comprendre ». J’ai préféré me laisser bercer par la douceur de Grouzna, le dynamisme de la Vieille, la sensibilité d’Alfred… sans m’attacher à la légalité et la cohérence de leurs existences. Si leur vie est d’une dureté inconnue, elle est aussi libre, d’une liberté effrayante que nous avons perdue. Le roman dense, profond, philosophe, m’a fait penser à la veine aventureuse d’Alex Cousseau : Les trois vies d’Antoine Anacharsis (Rouergue, 2012), Le fils de l’ombre et de l’oiseau (Rouergue, 2016). Magnifique.